Qu’est-il arrivé au bébé de neuf mois derrière l’expérience psychologique la plus controversée ?
Auteur: Simon Kabbaj
Au début du XXe siècle, la psychologie expérimentale connaissait un essor spectaculaire, mais l’éthique n’était pas encore au cœur des préoccupations scientifiques. John B. Watson, considéré comme le père du behaviorisme, voulait prouver que la peur n’était pas innée, mais qu’elle pouvait être créée artificiellement. Pour ce faire, il choisit un bébé de neuf mois, surnommé “Little Albert”, qu’il soumit à une série d’expériences visant à conditionner ses émotions.
Cette expérience, qui aurait pu rester une simple démonstration théorique, s’est transformée en l’un des plus grands scandales de l’histoire de la psychologie. Mais ce qui intrigue encore plus, c’est le destin de cet enfant. Qui était-il vraiment et qu’est-il devenu après cette expérience ?
1. L’expérience de "Little Albert" : une manipulation des émotions

En 1919, inspiré par les travaux d’Ivan Pavlov sur le conditionnement chez les chiens, John B. Watson voulait démontrer que les réactions émotionnelles pouvaient être apprises chez les humains.
Pour cela, il sélectionna un bébé en bonne santé, élevé dans l’environnement hospitalier de l’université Johns Hopkins. Il commença par exposer l’enfant à plusieurs objets et animaux, comme un lapin, un chien, un rat blanc et des masques effrayants, tout en observant ses réactions. Au départ, Albert n’éprouvait aucune peur.
Mais Watson introduisit un élément perturbateur : chaque fois qu’Albert touchait le rat blanc, il frappait une barre métallique avec un marteau, produisant un bruit violent et effrayant. Le bébé sursautait et se mettait à pleurer. Après plusieurs répétitions, Albert développa une peur intense du rat blanc, même en l’absence du bruit.
Ce phénomène, appelé conditionnement classique, montrait que la peur pouvait être “programmée” chez un individu. Mais à quel prix ?
2. Une expérience contraire à toute éthique scientifique

Ce qui choque aujourd’hui, ce n’est pas seulement le principe de l’expérience, mais l’absence totale de considération pour le bien-être de l’enfant.
- Albert n’a jamais été désensibilisé après l’expérience. Watson l’a simplement laissé avec ces peurs nouvellement inculquées.
- Aucune précaution n’a été prise pour protéger le bébé des conséquences psychologiques à long terme.
- Le consentement des parents n’a jamais été clairement documenté.
Watson, qui était persuadé que les humains pouvaient être façonnés comme des machines, n’a pas tenu compte des conséquences émotionnelles pour Albert. Après l’expérience, l’enfant a simplement disparu des archives, et son sort est resté inconnu pendant des décennies.
3. À la recherche de "Little Albert" : un mystère de plusieurs décennies

Pendant près d’un siècle, personne ne savait qui était réellement ce bébé ni ce qu’il était devenu. L’absence de documents clairs sur son identité a alimenté les spéculations.
En 2009, un psychologue, Hall Beck, s’est lancé dans une vaste enquête pour identifier l’enfant. En analysant les écrits de Watson et les archives hospitalières, il découvrit que le bébé était probablement le fils d’une infirmière travaillant à Johns Hopkins, où l’expérience avait eu lieu.
Après des années de recherche, Beck aboutit à une conclusion tragique : il pensa avoir retrouvé “Little Albert” sous le nom de Douglas Merritte, un enfant qui aurait souffert d’une maladie neurologique grave et qui serait mort à l’âge de six ans d’une hydrocéphalie.
4. Une première conclusion tragique : le cas de Douglas Merritte

En 2009, après une analyse faciale et des recherches approfondies, Beck conclut que Little Albert était en réalité Douglas Merritte, un enfant né le même jour que l’expérience.
La révélation fut dramatique : Douglas Merritte est mort à l’âge de six ans d’une hydrocéphalie sévère (accumulation de liquide dans le cerveau). Cette maladie a causé de graves handicaps, dont la cécité, laissant penser qu’il n’avait pas survécu assez longtemps pour souffrir des traumatismes de l’expérience.
Ce dénouement tragique a renforcé l’indignation contre Watson, d’autant plus que certains chercheurs soupçonnent que Douglas était déjà atteint de troubles neurologiques au moment de l’expérience.
5. Un second candidat pour l’identité de Little Albert

Mais tout le monde ne fut pas convaincu par les conclusions de Beck. D’autres chercheurs, dont Russ Powell de l’Université MacEwan (Canada), ont poursuivi l’enquête et identifié un autre candidat potentiel : William Albert Barger.
Comme Douglas Merritte, William Albert était né le même jour à l’hôpital Johns Hopkins. Mais contrairement à Merritte, il a vécu une longue vie et est décédé en 2007.
D’après sa famille, il ne savait rien de l’expérience, mais un détail a intrigué les chercheurs : il a gardé toute sa vie une aversion marquée pour les animaux.
6. Un débat toujours ouvert sur l’identité de Little Albert

L’identité exacte de Little Albert reste un mystère. A-t-il été Douglas Merritte, mort prématurément, ou William Albert Barger, ayant vécu sans savoir qu’il avait été un cobaye ?
Quoi qu’il en soit, l’expérience de Watson est aujourd’hui considérée comme une honte dans l’histoire de la psychologie. Non seulement elle a montré un mépris total pour le bien-être d’un enfant, mais elle a également mis en lumière le manque d’éthique dans la recherche scientifique de l’époque.
Conclusion

L’histoire de Little Albert rappelle un passé sombre de la psychologie, où les sujets d’étude étaient traités comme de simples objets d’expérimentation. Que ce soit Douglas Merritte ou William Albert Barger, cet enfant a marqué l’histoire par son rôle involontaire dans une expérience inhumaine.
Aujourd’hui, des normes éthiques strictes encadrent la recherche en psychologie pour éviter de telles dérives. Mais cette affaire soulève une question essentielle : combien d’expériences douteuses ont été menées avant que l’éthique ne devienne une priorité ?