Le retour du balbuzard en péril : pourquoi les oisillons meurent-ils dans leur nid ?
Auteur: Adam David
Au milieu de la rivière York, en Virginie, Bryan Watts grimpe sur un vieil affût de chasse au canard. Sur la plateforme en bois, un cercle de bâtons et de pommes de pin témoigne d’un échec. C’est un nid de balbuzard pêcheur, mais il est vide. « Les oiseaux n’ont même pas pondu ici cette année », constate-t-il. Ce biologiste, qui a dédié sa vie à l’étude de ces rapaces, observe ce triste phénomène se répéter depuis plusieurs années dans la baie de Chesapeake, un sanctuaire pour l’espèce.
Un oiseau autrefois sauvé, aujourd'hui en danger
Le balbuzard pêcheur est une véritable icône de la conservation en Amérique. Quasiment anéanti par les pesticides comme le DDT, l’espèce a connu un retour spectaculaire après l’interdiction de ce produit en 1972. Sa population s’est redressée, pour le plus grand bonheur des observateurs. Mais aujourd’hui, Bryan Watts tire la sonnette d’alarme. Il a documenté une tendance effrayante : les couples de balbuzards n’arrivent plus à élever suffisamment de poussins pour assurer leur survie. Pour lui, cet oiseau est un indicateur de la santé de l’écosystème. « Les balbuzards nous crient très fort qu’il y a un problème », explique-t-il.
Au cœur du problème : le manque de menhaden
Selon les études de Bryan Watts, la cause de cette hécatombe est simple : les oisillons meurent de faim. Leur régime alimentaire dépend d’un petit poisson très nutritif appelé le menhaden. Or, ce poisson se fait de plus en plus rare. Le calcul est implacable : pour que la population se maintienne, chaque couple de balbuzards doit élever en moyenne 1,15 poussin par an. Dans les années 80, cet objectif était atteint. Aujourd’hui, dans certaines zones de la baie, ce chiffre a été divisé par deux, voire par dix. Les zones où les nids échouent correspondent précisément à celles où le menhaden a disparu.
L'industrie de la pêche se défend
Le menhaden n’est pas seulement vital pour les balbuzards. C’est aussi une ressource économique majeure, valant plus de 200 millions de dollars en 2023. Il est transformé en huile et en farine, et sert d’appât pour des pêches lucratives comme celle du homard. L’industrie, menée par la société Omega Protein, conteste être la cause du déclin des balbuzards. Elle souligne que les populations de rapaces diminuent aussi dans des zones où le menhaden n’est pas pêché, et pointe du doigt d’autres facteurs comme le changement climatique ou la pollution. Les représentants de l’industrie ont le sentiment d’être des boucs émissaires pour des groupes écologistes.
Vers de nouvelles règles pour protéger les balbuzards ?
Face à cette controverse, une commission inter-étatique chargée de gérer la pêche du menhaden a décidé d’agir. Un groupe de travail a été créé pour étudier la situation dans la baie de Chesapeake. En avril, plusieurs pistes ont été proposées : des fermetures de pêche saisonnières, des restrictions sur les quotas ou encore des limitations sur les engins de pêche. De nouvelles règles pourraient être mises en place dès cet été. La commission rappelle cependant que la population de balbuzards reste bien plus importante qu’à l’époque du DDT, ayant été multipliée par six sur la côte Atlantique depuis les années 1960.
Conclusion : un symbole en sursis
L’histoire du balbuzard pêcheur est celle d’un succès environnemental aujourd’hui menacé. Le conflit entre les données scientifiques des défenseurs de l’environnement et les intérêts économiques de l’industrie de la pêche est à un point critique. Les associations de protection de la nature préviennent : si rien n’est fait, nous pourrions assister à un « déclin brutal » de l’espèce, anéantissant des décennies d’efforts. Le sort de cet oiseau emblématique dépendra des décisions qui seront prises dans les mois à venir.
Selon la source : latimes.com