Il est des étés où la mer ne ramène pas que des vagues sur le rivage, mais aussi les échos sourds des tensions qui couvent sous le vernis des vacances. À Carry-le-Rouet, village baigné de lumière provençale, le clapotis des flots s’est soudainement tu pour laisser place au fracas d’une bataille inattendue, une querelle de tissus et de principes où la plage devient, le temps d’une décision de justice, le théâtre d’un drame éminemment français. Car ici, sur ce sable où les corps se libèrent, une question était posée : jusqu’où peut-on vêtir ou dévêtir sa liberté ?
Un coup de tonnerre dans un ciel d'azur
La sentence est tombée comme un orage d’été, bref et sans appel. Depuis Marseille, le tribunal administratif a parlé. Ses mots, pesés, ciselés, ont résonné bien au-delà du port de Carry. En suspendant l’arrêté municipal qui prétendait bannir le burkini des eaux locales, la justice a rappelé une évidence que l’on croyait immuable : les libertés fondamentales ne prennent pas de congés. « Atteinte grave et manifestement illégale », a-t-elle tranché. Une formule tranchante comme le verre poli par les flots, qui sonne moins comme une simple correction juridique que comme un rappel à l’ordre, une leçon de droit murmurée face à la Méditerranée.
Ce vêtement qui déchire la toile républicaine
De quoi parle-t-on, au fond ? D’un maillot de bain, un simple assemblage de Lycra conçu pour couvrir le corps, les bras, les jambes. Mais ce vêtement, honni par les uns, revendiqué par les autres, n’est plus seulement un vêtement. Il est devenu le réceptacle de toutes les peurs, le miroir grossissant des angoisses identitaires d’un pays qui ne sait plus comment raconter son propre pacte. Il est ce tissu inflammable qui, à chaque été, menace de déchirer la grande toile républicaine, où les fils de la liberté, de l’égalité et de la laïcité s’emmêlent et parfois se brisent.
Quand le verbe du maire se brise sur le droit
L’édile de Carry-le-Rouet avait pourtant tenté, une nouvelle fois, d’imposer sa vision de l’ordre public balnéaire. L’an dernier déjà, un arrêté similaire avait cherché à proscrire ces « tenues de ville » et ces étoffes amples qui couvriraient trop le corps pour être honnêtes, pour flotter librement. La volonté politique, exprimée dans le langage administratif d’un arrêté, se voulait rempart contre un trouble supposé. Mais la parole du maire, si puissante soit-elle à l’échelle de sa commune, s’est heurtée à un mur plus haut : celui du droit, gardien silencieux des libertés individuelles. La condamnation symbolique de la commune, sommée de verser 1 500 euros à la Ligue des droits de l’Homme, n’est que la trace financière de cette collision.
Sur le sable, le poids des regards
Et maintenant ? Sur le sable chaud de Carry, la vie reprend son cours, mais quelque chose a changé. Le verdict a beau avoir été rendu, il ne dissipe pas les malaises. Il plane dans l’air, invisible mais palpable, dans les regards qui se croisent, s’évitent ou se jugent. Que pense la baigneuse en bikini de celle qui entre dans l’eau tout habillée ? Quelle pensée traverse l’esprit de cette dernière ? La justice a parlé, mais elle n’a pas apaisé les cœurs ni éteint les méfiances. La plage, ce lieu d’insouciance, est devenue malgré elle une frontière où se toisent silencieusement deux conceptions de la France, deux manières d’être au monde.
Conclusion : La liberté, cet horizon fragile
Au fond, cette décision n’est qu’une vague de plus dans l’océan infini du débat sur le vivre-ensemble. Elle ne clôt rien, elle ne résout rien. Elle ne fait que repousser la question à l’été prochain, à la prochaine polémique, au prochain arrêté. Car la liberté, comme l’horizon, semble parfois à portée de main, mais recule à mesure que l’on avance vers elle. Et tandis que le soleil se couche sur la Méditerranée, la mer continue son va-et-vient éternel, indifférente aux passions des hommes, leur rappelant simplement que sur le sable comme dans la vie, tout finit toujours par être brassé, mélangé, et remis en question.
Selon la source : lejdd.fr