Le mystère des ‘comètes noires’ qui rôdent dans notre système solaire

Alors, qu’est-ce qu’une comète noire exactement ? Pour faire simple, c’est un rocher de l’espace qui se comporte de manière très bizarre. D’un côté, on a les astéroïdes, qui sont des blocs de roche inactifs, tranquilles, qu’on trouve surtout entre Mars et Jupiter. De l’autre, on a les comètes, faites de roche et de glace, qui développent une immense queue lumineuse quand elles s’approchent du Soleil. Les comètes noires, elles, ressemblent à des astéroïdes tout ce qu’il y a de plus banal, mais elles se déplacent comme des comètes. Elles reçoivent de petites poussées mystérieuses qui modifient légèrement leur trajectoire, sans pour autant laisser derrière elles la traînée de gaz et de poussière typique d’une comète. C’est cette activité invisible qui les rend si spéciales.

L’histoire de ces objets commence en 2016. Des astronomes repèrent ce qu’ils pensent être un astéroïde, mais sa course est étrange. Il subit des accélérations qui ne s’expliquent pas par la simple gravité du Soleil. Un an plus tard, un autre objet du même genre, surnommé ‘Oumuamua, un visiteur venu d’un autre système stellaire, montre le même comportement. Puis, tout s’est accéléré. En 2023, une équipe de chercheurs a annoncé en avoir trouvé six autres. Et en décembre 2024, ils en ont ajouté d’autres à la liste, ce qui porte le total connu à 14 objets de ce type dans notre système solaire. Certains sont petits, à peine quelques mètres de large, d’autres beaucoup plus gros, comme un astéroïde de 300 mètres de large appelé 2003 RM. Le problème, c’est que malgré ces découvertes, personne ne sait vraiment ce qui provoque ces poussées. Comme le dit un des astronomes, Darryl Seligman : « On n’a toujours aucune idée de ce qui cause ça. »

Pendant longtemps, on a bien séparé les choses : les astéroïdes d’un côté, les comètes de l’autre. Mais ces comètes noires viennent tout chambouler. Elles nous montrent qu’il existe peut-être toute une gamme d’objets entre les deux. En fait, l’idée n’est pas complètement nouvelle. On connaissait déjà les « astéroïdes actifs », des astéroïdes qui, suite à un choc ou à une rotation trop rapide, libèrent de la glace cachée sous leur surface, créant une sorte de queue. Mais les comètes noires sont différentes. Contrairement aux astéroïdes actifs, on ne voit aucune matière s’échapper d’elles, et pourtant, elles accélèrent. Cette force mystérieuse est trop grande pour être expliquée par un simple effet de chaleur. Le mystère reste donc entier.

Pour comprendre, il faut aller voir de plus près. Et figurez-vous que c’est exactement ce qui va se passer, grâce à un incroyable coup de chance. En 2020, la sonde spatiale japonaise Hayabusa2 a rapporté sur Terre des échantillons d’un astéroïde. Comme il lui restait du carburant, l’agence spatiale japonaise (la Jaxa) a décidé de lui donner une nouvelle mission : visiter un petit astéroïde nommé 1998 KY26. Ce qu’ils ne savaient pas à l’époque, c’est que cet astéroïde était l’une des comètes noires découvertes par les scientifiques ! C’est une coïncidence formidable qui va peut-être nous permettre de résoudre l’énigme.

La sonde Hayabusa2 devrait atteindre sa cible, l’astéroïde 1998 KY26, en juillet 2031. Une fois sur place, elle commencera par l’observer à distance pour prendre des photos. Si les accélérations sont causées par des fuites de gaz, même invisibles de loin, la sonde devrait pouvoir les détecter. Ensuite, la mission pourrait devenir encore plus passionnante. Les responsables de la mission envisagent de s’approcher et peut-être même d’atterrir. La sonde a encore à son bord un petit projectile, de la taille d’une balle. L’idée serait de le tirer sur la surface de l’astéroïde pour créer un petit cratère et voir ce qui se cache en dessous. Cela pourrait nous en dire long sur la composition de ces étranges objets.

En attendant 2031, les chercheurs élaborent des théories. Une idée est que ces comètes noires seraient d’anciens astéroïdes contenant de la glace, qui se seraient brisés suite à un choc ou parce qu’ils tournaient trop vite sur eux-mêmes. Cette fracture aurait exposé la glace au Soleil, déclenchant les petites poussées de gaz. Une autre découverte récente suggère qu’il pourrait y avoir deux types de comètes noires. Des petites, qui tournent très vite près de la Terre, et des plus grosses, plus loin, qui seraient en fait de vieilles comètes en fin de vie, utilisant leurs toutes dernières réserves de gaz. On assisterait en quelque sorte à leur « dernier souffle ».

Toute cette histoire a deux grandes implications pour nous. La première est plutôt positive. Si ces objets contiennent de la glace et sont nombreux, ils pourraient être ceux qui ont apporté l’eau sur Terre il y a des milliards d’années. C’est une piste très prometteuse. La seconde implication est un peu plus inquiétante. Le fait que ces objets puissent changer de trajectoire de manière imprévisible signifie qu’ils pourraient représenter une menace. On pourrait croire un objet inoffensif, mais une accélération soudaine pourrait le mettre sur une trajectoire de collision avec notre planète. Pour l’instant, le risque semble faible car les changements de direction sont minimes, mais c’est une chose à surveiller. Ne pas pouvoir prévoir correctement leur trajectoire est un problème qu’il faudra résoudre.

Les comètes noires sont donc bien plus qu’une simple curiosité astronomique. Elles remettent en question ce que nous pensions savoir sur notre système solaire et soulèvent des questions fondamentales sur nos origines et notre sécurité. C’est une nouvelle page de l’exploration spatiale qui s’ouvre, pleine de mystères et de promesses. Tous les yeux sont désormais tournés vers la petite sonde Hayabusa2 et son rendez-vous de 2031, dans l’espoir qu’elle nous livre enfin quelques-uns des secrets de ces fantômes de l’espace.