Wernher von Braun : d’ingénieur du régime nazi à pionnier de la NASA et collaborateur de Disney
Auteur: Mathieu Gagnon
Imaginez la scène. Nous sommes le 9 mars 1955. Des millions d’Américains sont assis devant leur téléviseur, regardant une émission de ce bon vieux Walt Disney. Un homme élégant, la quarantaine, explique avec un grand sérieux comment envoyer des hommes dans l’espace. Il a un fort accent allemand, c’est vrai, mais il a l’air si convaincant, si passionné. On le présente comme le créateur du missile V2, une sorte d’ancêtre des fusées spatiales. Ce qu’on oublie de dire, c’est que cet homme, Wernher von Braun, était quelques années plus tôt un officier SS et que ses V2 semaient la mort sur les villes européennes.
Comment un homme peut-il passer du camp des nazis à celui de héros de la conquête spatiale américaine, avec la bénédiction de Disney ? C’est une histoire qui dépasse l’imagination.
Un rêve d'enfant : la tête dans les étoiles
Pour comprendre, il faut remonter le temps. Wernher von Braun est né en 1912 en Prusse. Petit, il n’était pas comme les autres garçons. Son truc à lui, c’était le ciel. Il passait des heures à lire les romans de Jules Verne, à rêver de voyages sur la Lune et, dès qu’il le pouvait, il collait son œil à sa lunette astronomique pour observer les planètes. Ce n’était pas une simple passion, c’était une obsession.
À peine adulte, il rejoint un club de passionnés, l’« Association allemande pour la navigation spatiale ». Ensemble, ils bricolaient des prototypes de fusées dans un terrain vague près de Berlin. Un rêve de gamin, en somme.
Le pacte avec le diable : au service du troisième reich
Mais les rêves ne paient pas les factures, et encore moins le développement de fusées. En 1932, fraîchement diplômé ingénieur, von Braun se heurte à une réalité : seule l’armée a les moyens de financer ses ambitions. Et à cette époque, l’armée allemande est aux mains des nazis.
Pour Hitler, c’était une aubaine. Le traité de Versailles interdisait à l’Allemagne de construire des chars ou des avions de guerre, mais… personne n’avait pensé à interdire les fusées. Von Braun a donc accepté le marché. En échange de financements illimités pour ses recherches, il devait concevoir des armes. Il a pris sa carte du parti nazi en 1937, puis a grimpé les échelons jusqu’à devenir commandant dans la SS en 1940. Son rêve d’étoiles prenait un chemin bien sombre.
Le V2 : une fusée pour la mort
Son « chef-d’œuvre » pour les nazis fut le missile V2. Une arme terrifiante, capable de frapper une ville à 300 kilomètres de distance. Ces engins de mort étaient fabriqués dans des conditions effroyables. Pour les construire, les nazis ont utilisé les prisonniers du camp de concentration de Dora. On estime que 20 000 de ces travailleurs forcés y ont laissé la vie, morts de faim, de froid ou d’épuisement.
Entre 1944 et 1945, près de 3 200 de ces missiles ont été tirés sur des villes comme Londres, Paris, Anvers ou Liège. Ils ont tué des milliers de civils, dont plus de 2 700 rien qu’en Grande-Bretagne. Quand le premier V2 a frappé Londres, von Braun aurait dit à un collègue : « La fusée a bien fonctionné, même si elle s’est posée sur la mauvaise planète ». Une phrase qui glace le sang et en dit long sur l’homme.
L'opération Paperclip : le grand recyclage
La guerre se termine. L’Allemagne a perdu. Qu’allait devenir von Braun ? Un criminel de guerre ? Pas du tout. Pour les Américains, il était bien trop précieux. Dans le plus grand secret, ils ont monté l’opération Paperclip. Le but ? Récupérer les meilleurs scientifiques nazis avant que les Soviétiques ne mettent la main dessus. On a effacé leur passé, on leur a donné une nouvelle vie, et on les a mis au service de l’Amérique.
Le savoir-faire de Von Braun était inestimable. C’est en se basant sur ses plans du V2 qu’il a pu concevoir la fusée géante Saturn V, celle qui allait, des années plus tard, envoyer les Américains sur la Lune.
L'alliance improbable avec disney
C’est à ce moment-là que Walt Disney entre en scène. Il prépare l’ouverture de son premier parc d’attractions, Disneyland, et cherche à promouvoir la section dédiée au futur, « Tomorrowland ». Un animateur de Disney tombe sur des articles de von Braun et a une idée de génie : pourquoi ne pas le faire parler à la télé ?
L’accord arrangeait tout le monde. Disney assurait une promotion incroyable pour son parc, et von Braun, lui, pouvait enfin parler au grand public de sa passion pour l’espace et, surtout, convaincre le gouvernement de lui donner plus d’argent. Le succès fut total. Le président Eisenhower lui-même demanda une copie de l’émission pour la montrer à ses généraux au Pentagone.
Enfin la lune : le but d'une vie
Naturalisé américain en 1955, von Braun est devenu une véritable star. En 1960, il est nommé directeur du centre de vol spatial Marshall de la NASA. Il supervise tout, il est sur tous les fronts. Son bébé, la fusée Saturn V, prend forme.
Et puis, le 21 juillet 1969, le monde entier a les yeux rivés sur son poste de télévision. Neil Armstrong pose le pied sur la Lune. Pour Wernher von Braun, c’est l’aboutissement de toute une vie. Le rêve du petit garçon qui regardait les étoiles était enfin devenu réalité. Après un tel exploit, que pouvait-il faire de plus ? Il a démissionné de la NASA en 1972 et est mort d’un cancer cinq ans plus tard.
Conclusion : quel héritage pour un homme si complexe ?
Alors, que doit-on retenir de Wernher von Braun ? Faut-il se souvenir du génie visionnaire qui a ouvert à l’humanité les portes du cosmos ? Ou de l’opportuniste qui a travaillé pour un régime monstrueux, dont les inventions ont tué des milliers de personnes et ont été construites sur la souffrance d’innocents ? C’est toute la question.
Il a probablement été plus pragmatique que cruel. Il voulait construire des fusées, et il est allé voir ceux qui pouvaient lui en donner les moyens, sans trop se poser de questions sur la morale. Une histoire bien compliquée, bien loin des contes de fées que racontait son ami Walt Disney.
Selon la source : slate.fr