C’était un réflexe, presque un dogme médical. Depuis plus d’un demi-siècle, la petite pilule blanche d’aspirine était prescrite quasi systématiquement pour éviter la récidive après un accident cardiaque. Mais voilà qu’une étude d’une ampleur inédite, publiée dans la prestigieuse revue The Lancet, vient rebattre les cartes et pourrait bien changer la vie de millions de patients.
Un géant aux fondations fragiles
L’aspirine n’a pas volé sa réputation. Historiquement, elle a prouvé sa capacité à réduire le risque de nouvel infarctus d’environ 20 %. Le problème, c’est que cette certitude reposait sur des essais cliniques vieillissants. Des études menées avant les grandes avancées en cardiologie interventionnelle, et dont le suivi dépassait rarement quelques mois.
« La sécurité de l’aspirine à long terme reposait en réalité sur un seul essai, et limité à 35 jours », souligne l’équipe du professeur Marco Valgimigli, du Cardiocentro Ticino en Suisse. Un socle finalement assez mince pour une pratique aussi généralisée.
Le clopidogrel, un challenger qui change la donne
Le coup de tonnerre vient d’une méta-analyse, une sorte de super-étude qui a compilé les données de sept essais cliniques majeurs. Au total, ce sont les parcours de près de 29 000 patients qui ont été scrutés à la loupe, sur des périodes allant jusqu’à cinq ans et demi. L’objectif : comparer, sur le long terme, l’aspirine à un autre antiagrégant plaquettaire, le clopidogrel.
Et les résultats sont sans appel. Le groupe traité au clopidogrel a connu significativement moins d’événements cardiovasculaires majeurs (décès, infarctus, AVC) que le groupe sous aspirine. On parle d’une réduction relative du risque de 14 %.
Plus efficace, mais pas plus risqué
Quand on parle d’anticoagulants, la crainte principale est toujours la même : le risque d’hémorragie. C’est peut-être là que se situe la plus grande surprise de l’étude. Malgré son efficacité supérieure pour prévenir les caillots, le clopidogrel n’a pas provoqué plus de saignements graves que l’aspirine. Les taux étaient quasiment identiques dans les deux groupes.
Dans le détail, le risque d’un nouvel infarctus chutait de 24 % et celui d’un AVC de 21 % avec le clopidogrel. « Ces résultats soutiennent la préférence pour le clopidogrel », résume sobrement le professeur Joo-Yong Hahn, co-auteur de l’étude. Une conclusion simple, mais aux implications immenses.
Un traitement pour tous, ou presque ?
Autre point fort de cette analyse : la cohérence des bénéfices. Que les patients soient jeunes ou âgés, diabétiques, fumeurs ou atteints d’insuffisance rénale, le clopidogrel s’est montré supérieur. Même chez les personnes porteuses d’une variation génétique censée les rendre « mauvaises répondeuses » au traitement, le bénéfice à long terme était bien là.
Concrètement, pour la femme de 72 ans ayant déjà subi un AVC ischémique, ou pour l’homme de 68 ans sortant d’une angioplastie, le protocole standard pourrait bien basculer de l’aspirine vers le clopidogrel. Un changement de paradigme qui semble s’appliquer à une écrasante majorité de profils.
la question du coût, dernier obstacle au changement
Alors, l’aspirine est-elle bonne pour la poubelle ? Pas si vite. Si la supériorité clinique du clopidogrel semble désormais établie, un dernier caillou subsiste dans la chaussure : le coût. Bien que disponible en générique, le clopidogrel reste souvent plus onéreux que la très bon marché aspirine.
Les auteurs de l’étude appellent eux-mêmes à mener des analyses économiques pour évaluer l’impact sur les systèmes de santé avant d’envisager une révolution mondiale des recommandations. Le règne de l’aspirine est sérieusement menacé, mais sa chute dépendra aussi de nos portefeuilles.
Selon la source : passeportsante.net