C’est un geste quotidien, presque anodin. Allumer le gaz, poser la casserole, et voir la flamme bleue danser sous le plat. Pourtant, derrière cette scène familière se cache une menace insoupçonnée pour notre santé, comme le révèle une nouvelle étude d’envergure menée à travers l’Europe. Ce que nous respirons dans nos propres foyers pourrait être bien plus pollué qu’on ne l’imagine.
Des chiffres qui donnent le vertige
Le constat, issu d’une collaboration entre l’ONG CLASP, l’association Respire et l’institut de recherche néerlandais TNO, est sans appel. En France, plus de la moitié des foyers (53 %) qui utilisent le gaz pour cuisiner dépassent le seuil journalier de dioxyde d’azote (NO2) recommandé par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Concrètement, l’air intérieur y est en moyenne deux fois plus chargé en NO2 que dans les logements équipés de plaques électriques. Un polluant invisible, inodore, mais loin d’être inoffensif.
Pour parvenir à ces conclusions, les chercheurs ont équipé 35 foyers français de capteurs pendant cinq mois, dans le cadre d’une campagne de mesures menée dans sept pays européens. Le verdict est sévère : la simple préparation d’un repas peut transformer nos cuisines en zones de pic de pollution.
L'asthme infantile, première ligne de mire
Les premières victimes de cette pollution domestique sont les plus vulnérables : les enfants. L’OMS est formelle : un enfant vivant dans un logement avec une cuisinière à gaz a 20 % de risques supplémentaires de développer une maladie des voies respiratoires inférieures. Le dioxyde d’azote est connu pour provoquer une inflammation des poumons, de la toux, et peut aggraver, voire déclencher, des crises d’asthme.
Une précédente étude de TNO, parue en janvier 2023, avait déjà tiré la sonnette d’alarme, chiffrant à près de 150 000 le nombre d’enfants en France présentant des symptômes d’asthme directement imputables à la cuisson au gaz. Un chiffre qui donne une dimension très concrète à ce problème de santé publique.
La hotte, une protection souvent illusoire
Et ne comptez pas uniquement sur votre hotte pour vous protéger. L’étude montre que même avec un système de ventilation, qu’il soit à recirculation ou à évacuation, une part importante de la pollution stagne à l’intérieur. En cause ? Souvent une mauvaise utilisation – on l’allume trop tard, on l’éteint trop tôt, ou pas à la bonne puissance – mais aussi des limites techniques.
Le problème, c’est que le NO2 ne reste pas sagement confiné au-dessus de la gazinière. Il se propage dans tout le logement, du salon aux chambres. Les pics de pollution peuvent ainsi durer plusieurs heures après la cuisson, exposant toute la famille bien au-delà de la préparation des repas.
Un vide réglementaire pour l'air intérieur
Le paradoxe est saisissant. Alors que la qualité de l’air extérieur est scrutée et réglementée par l’Union Européenne, nos intérieurs, où nous passons pourtant la majorité de notre temps, sont le grand oublié des politiques publiques. Les chercheurs ont ainsi calculé que, sur une année, près d’un tiers des foyers français (29 %) utilisant le gaz dépassent à l’intérieur les valeurs limites horaires fixées par l’UE pour… l’extérieur.
« Nous avons mesuré que dans ces foyers, la valeur limite de NO2 de l’UE pour une heure était dépassée, alors même que les niveaux extérieurs étaient conformes », explique Piet Jacobs, scientifique chez TNO. Pour lui, la solution la plus efficace est claire : « Passer à la cuisson électrique, de préférence combinée à une bonne ventilation ».
Le manque d'information, un obstacle majeur
Si près d’un tiers des ménages français (31,7 %) cuisine encore au gaz, ce n’est souvent pas par choix éclairé, mais par manque d’information. Un sondage réalisé pour CLASP révèle une méconnaissance quasi totale du sujet. Le chiffre le plus parlant ? Près des trois quarts (74 %) des utilisateurs se disent prêts à envisager de passer à l’électrique s’ils étaient informés des risques.
C’est sur ce levier que les associations comptent jouer. CLASP et Respire militent pour que l’UE impose, dès 2024, un étiquetage clair sur les appareils de cuisson, indiquant leur niveau d’émission de polluants, à l’image de ce qui se fait déjà pour la consommation d’énergie. Une information simple, visible, qui permettrait à chacun de faire un choix pour sa santé.
Un appel à l'action pour un air plus sain
Pour Nicole Kearney, directrice de CLASP Europe, l’urgence est là : « Les gouvernements doivent protéger la santé publique en s’attaquant à la pollution à la source et en soutenant la transition vers une cuisine plus propre ». Un avis partagé par Tony Renucci, de l’association Respire, qui exhorte les politiques français à « prendre ce sujet de santé publique à bras le corps ».
Car au-delà des normes et des chiffres, il s’agit bien de la qualité de l’air que respirent nos enfants chaque jour. Fermer les yeux sur la pollution de nos cuisines, c’est laisser un ennemi invisible s’installer durablement à la maison.
Selon la source : respire-asso.org