On ne peut plus y échapper. Le matcha est partout. Que ce soit dans les cafés branchés de Paris, Stockholm ou Los Angeles, ou même chez Starbucks et Dunkin’, cette poudre verte a conquis le monde. À Tokyo, il n’est pas rare de voir des files d’attente interminables devant les bars à matcha spécialisés. C’est une véritable « folie du matcha », à tel point que la demande mondiale mettrait les chaînes d’approvisionnement à rude épreuve, comme le rapportait un journal australien en juillet 2025.
Pourtant, cette popularité est assez récente. Il fut un temps, pas si lointain, où cette boisson était accueillie avec beaucoup, beaucoup de méfiance en Occident. C’est assez fascinant de voir comment les choses ont changé.
Mais au fait, c'est quoi exactement le matcha ?
Avant d’aller plus loin, un petit rappel s’impose. Le matcha, ce n’est pas juste un thé vert ordinaire. Pour le fabriquer, on utilise de jeunes feuilles de thé qui sont moulues très finement avec une meule en pierre jusqu’à obtenir une poudre. La grande différence avec les autres thés, c’est qu’au lieu de faire infuser les feuilles et de les retirer, on mélange directement la poudre dans de l’eau chaude avec un petit fouet en bambou. On boit donc la feuille de thé en entier.
Et petite surprise, le matcha vient à l’origine de Chine ! Il a été introduit au Japon vers 1250, où il est devenu un élément central de la fameuse cérémonie du thé japonaise, le « chanoyu », à partir des années 1500.
La découverte par l'occident lors des expositions universelles
L’intérêt de l’Occident pour le matcha a vraiment commencé à la fin du 19e siècle. À cette époque, de grandes expositions universelles étaient organisées dans les villes européennes et américaines. C’était l’occasion pour les pays du monde entier de présenter leurs inventions, leur art et leur culture. Pour le Japon, qui s’ouvrait alors au monde, c’était une vitrine extraordinaire.
Les représentants japonais organisaient souvent des démonstrations de la cérémonie du thé. C’était une façon de faire connaître leur culture et, bien sûr, de promouvoir tous les types de thés verts japonais, y compris le matcha.
Des débuts difficiles : un goût de "soupe de pois"
Si le thé vert infusé, bu avec du lait et du sucre, a trouvé son public en Amérique au 19e siècle, ça n’a pas du tout été le cas pour le matcha. Les palais occidentaux n’étaient… pas prêts. Les descriptions de l’époque sont assez savoureuses.
Une journaliste américaine, Eliza Ruhamah Scidmore, a décrit le matcha comme « un bol de bouillie verte plus amère que la quinine ». Une riche touriste canadienne, Katharine Schuyler Baxter, a raconté son expérience en 1895 : « La boisson est faite de feuilles en poudre, de couleur verdâtre, épaisse comme de la soupe de pois, parfumée, et pas très agréable au goût ». Apparemment, l’expression « soupe de pois » était la description la plus courante à l’époque pour parler du matcha.
Une boisson jugée trop forte et désagréable
Les articles de journaux de l’époque ne sont pas plus tendres. Une journaliste canadienne, Helen E. Gregory-Flesher, écrivait pour un journal de San Francisco à propos du matcha épais, appelé « koicha » : « Très peu d’Européens peuvent en boire sans se sentir très malheureux ». Selon elle, le goût n’était pas agréable et la boisson était si forte qu’elle était sûre de leur déplaire s’ils parvenaient à l’avaler.
Même ceux qui essayaient d’être positifs, comme la comtesse Anna de Montaigu à l’Exposition universelle de St. Louis en 1904, qualifiaient sa saveur d’« exquise » mais prévenaient leurs lecteurs : « Bu sans sucre ni crème, ce thé cher… n’est pas agréable au palais des non-initiés ». Le message était clair : ce n’est pas pour tout le monde.
Plus qu'une boisson, un art de vivre qui a séduit quelques pionniers
Heureusement, tout le monde n’a pas détesté. Certains Occidentaux vivant au Japon ont même étudié la cérémonie du thé, le chanoyu. C’est une pratique complexe qui ne se résume pas à servir du thé. On y apprend à être hôte et invité, à préparer un repas complet, à servir du saké, et bien sûr, à préparer deux types de matcha : le « koicha » (épais) et le « usucha » (plus léger).
Une Suédoise nommée Ida Trotzig, par exemple, a vécu au Japon de 1888 à 1921 et a même publié un livre sur la cérémonie du thé à son retour. On peut supposer que si ces personnes ont étudié cet art pendant des années, c’est qu’elles avaient fini par apprécier le goût du matcha !
Alors, pourquoi un tel succès aujourd'hui ?
Comment est-on passé de la « soupe de pois amère » à la boisson super tendance ? Plusieurs facteurs entrent en jeu. D’abord, il y a l’effet des réseaux sociaux comme Instagram et TikTok. Il faut l’admettre, sa couleur vert vif est très belle en photo. Ensuite, ses nombreux bienfaits pour la santé l’ont placé dans la catégorie des « super-aliments », aux côtés des baies d’açaï et du kombucha.
Il y a aussi, je pense, une fascination occidentale pour le Japon, perçu comme une source de « sagesse ancienne ». On est attirés par l’esthétique minimaliste et zen associée à la cérémonie du thé. La grande différence, c’est qu’aujourd’hui, on boit le matcha sans toute la cérémonie qui l’entourait autrefois. On a gardé le produit, mais on a simplifié le rituel.
Conclusion : du dégoût à la boisson la plus branchée
L’histoire du matcha est vraiment celle d’une incroyable transformation. D’une boisson jugée imbuvable par les Occidentaux du 19e siècle, elle est devenue un phénomène mondial. Parfois, je me demande ce que la comtesse de Montaigu commanderait aujourd’hui si elle entrait dans un café. Choisirait-elle un matcha traditionnel, pur et sans sucre ? Ou se laisserait-elle tenter par un « In Bloom Latte », un latte au matcha vanillé avec une mousse de fleur de cerisier ? Le monde a bien changé.
Selon la source : pbs.org