Désextinction : après les mammouths, les chercheurs envisagent-ils vraiment de faire renaître nos cousins néandertaliens ?
Auteur: Adam David
L’idée semble tout droit sortie d’un roman de science-fiction, et pourtant, elle prend forme dans un laboratoire texan. La start-up Colossal Biosciences s’est lancée dans une course folle : ressusciter le mammouth laineux. Mais derrière ce projet spectaculaire, une question bien plus vertigineuse se profile : et si le prochain sur la liste était l’homme de Néandertal ?
Le plan pour faire revivre un géant des glaces
Pour l’instant, toute l’attention se porte sur le géant préhistorique. Le plan est aussi ambitieux que complexe : récupérer des fragments d’ADN sur des carcasses de mammouths exceptionnellement conservées dans le permafrost de Sibérie ou du Canada. Ces gènes, une quarantaine jugés essentiels, seraient ensuite insérés dans l’embryon d’un éléphant d’Asie, son plus proche cousin vivant. L’objectif n’est pas de créer une copie parfaite, mais un éléphant modifié, adapté au froid, qui lui ressemblerait fortement.
Après tout, éléphants et mammouths partagent un ancêtre commun qui vivait il y a environ six millions d’années. Une parenté presque aussi proche que celle qui nous lie, nous humains, aux chimpanzés.
Une justification morale : réparer nos erreurs passées
Mais pourquoi un tel effort ? Pour Colossal Biosciences, il s’agit d’une forme de rédemption. L’entreprise se donne pour mission de « désextincter » les animaux dont l’homme a provoqué, directement ou indirectement, la disparition. On sait que nos ancêtres ont chassé le mammouth, contribuant sans doute à son déclin.
Cette logique, si on la pousse un peu, nous mène inévitablement à une autre victime de notre expansion : l’homme de Néandertal. Pendant des milliers d’années, Homo sapiens et Néandertal ont cohabité, avant que ce dernier ne s’éteigne. Compétition pour les ressources, transmission de maladies… notre responsabilité est largement suspectée. Faudrait-il alors, au nom de cette dette morale, envisager son retour ?
Le scénario néandertalien : un vertige technique et éthique
Techniquement, le chemin se dessine. Depuis que le génome néandertalien a été entièrement séquencé en 2010, les outils d’édition génétique, comme CRISPR-Cas9, ont fait des bonds de géant. Le scénario, bien que complexe, n’est plus du domaine de l’impossible : introduire de l’ADN néandertalien dans une cellule souche humaine, créer un embryon, puis… trouver une mère humaine pour porter cet enfant venu d’un autre temps. La simple évocation de cette dernière étape donne le vertige.
D’autant que la frontière entre « eux » et « nous » est bien plus floue qu’on ne le pense. La plupart des humains modernes, hors d’Afrique subsaharienne, possèdent entre 2 et 4 % d’ADN néandertalien. Cet héritage discret influence notre peau, la couleur de nos cheveux ou notre système immunitaire. Ils ne sont pas une espèce totalement étrangère ; une part d’eux vit déjà en nous.
Le mur de la conscience et l'ombre du scientifique fou
Si la science avance, la conscience, elle, dresse des barrières. Le clonage humain reproductif a été interdit par une déclaration de l’ONU en 2005. Ian Wilmut, le « père » de la brebis Dolly, premier mammifère cloné, qualifiait lui-même toute tentative sur l’homme de « criminellement irresponsable ». Un Néandertalien cloné ne pourrait être un animal de laboratoire ; il aurait les mêmes droits que nous. Qui oserait prendre la responsabilité de sa vie, de sa souffrance potentielle dans un monde qui n’est plus le sien ?
Pourtant, la crainte du scientifique sans scrupules, prêt à franchir la ligne rouge pour la gloire, reste vive. Ce spectre a un visage : celui du chercheur chinois He Jiankui. En 2018, il a défié toute éthique en créant les premiers bébés génétiquement modifiés au monde. Condamné à trois ans de prison, il a depuis repris ses recherches.
quand l'éthique devient un « frein au progrès »
Loin de se repentir, He Jiankui se compare à Louis Pasteur et a récemment écrit sur X (anciennement Twitter) : « Le monde me doit un prix Nobel ». Pour lui, « l’éthique freine l’innovation scientifique et le progrès ». Ses propos sont un avertissement cinglant.
Alors que les verrous techniques sautent les uns après les autres, la question n’est peut-être plus de savoir si l’on *peut* ressusciter un Néandertalien, mais bien si l’on *doit* le faire. Et surtout, qui sera là pour nous empêcher d’appuyer sur le bouton le jour où quelqu’un décidera que la réponse est oui.
Selon la source : journaldemontreal.com