De l’ivoire d’hippopotame vieux de 4 500 ans mis au jour : un minuscule objet qui éclaire les routes commerciales de la préhistoire
Auteur: Adam David
Il ne pèse que 11 grammes et tient dans la paume d’une main. Pourtant, ce petit éclat d’ivoire poli, vieux de 4500 ans, est en train de bousculer ce que l’on pensait savoir des échanges commerciaux à la préhistoire. Oublié pendant près d’un demi-siècle dans les réserves d’un musée catalan, il raconte aujourd’hui une histoire de voyages et de connexions insoupçonnées à travers la Méditerranée.
Une seconde vie grâce à la science moderne
Découvert en 1977 sur le site funéraire de Bòbila Madurell, au nord de Barcelone, l’objet n’avait jamais vraiment livré ses secrets. Il a fallu attendre une nouvelle étude, menée par des chercheurs de l’université de Barcelone, pour que sa véritable nature soit révélée. Grâce à des techniques de pointe comme la spectrométrie infrarouge, le verdict est tombé : il s’agit bien d’une incisive inférieure d’hippopotame commun (*Hippopotamus amphibius*).
L’analyse ne s’est pas arrêtée là. Les scientifiques ont décelé sur sa surface lisse des traces de polissage intentionnel et des taches d’un pigment rouge, un mélange d’oxydes de fer et de graisse animale. Cet objet n’était pas un simple débris ; il a été façonné, utilisé et sans doute chéri par ceux qui l’ont possédé.
Idole miniature ou outil de tisserand ?
Mais à quoi pouvait bien servir ce petit morceau d’ivoire ? Deux pistes principales s’opposent. La première, celle d’une petite idole, une figurine humaine très stylisée. Une hypothèse plausible dans un contexte funéraire, où les objets symboliques abondent.
Pourtant, une autre option semble tenir la corde. Dans la même tombe, les archéologues ont retrouvé des fusaïoles, ces petites roues qui servent de poids sur les fuseaux pour filer la laine. L’éclat d’ivoire aurait donc pu être un « battoir », un outil précieux servant à tasser les fibres sur un métier à tisser. Un objet du quotidien, peut-être, mais fabriqué dans un matériau si rare qu’il en devenait exceptionnel.
Le véritable casse-tête : l'origine de l'ivoire
C’est ici que l’objet livre son plus grand secret. La datation au radiocarbone le place au cœur de l’âge du cuivre, vers 2500 avant notre ère. Or, à cette époque, il n’y avait plus d’hippopotames sauvages dans la péninsule Ibérique, ni même dans l’ouest de la Méditerranée. Alors, comment cette dent est-elle arrivée en Catalogne ?
Cette question est un véritable défi pour les archéologues. Jusqu’à présent, le commerce de l’ivoire en Ibérie préhistorique était principalement associé à l’éléphant, avec des filières d’approvisionnement bien connues via l’Afrique du Nord. La présence de cet ivoire d’hippopotame suggère une tout autre route commerciale.
De nouvelles routes commerciales se dessinent
Cette découverte vient donc redessiner les cartes des échanges à longue distance de l’époque. Elle suggère l’existence de réseaux complexes reliant la péninsule Ibérique non pas seulement au sud, mais aussi à l’est de la Méditerranée, peut-être jusqu’au Levant ou à l’Égypte, où les hippopotames étaient encore présents.
On imagine alors des navigateurs du Néolithique, transportant sur des embarcations fragiles des biens précieux sur des centaines, voire des milliers de kilomètres. Cet humble objet devient le témoin silencieux d’une économie déjà mondialisée à son échelle, où des matériaux exotiques circulaient et témoignaient du prestige de leurs propriétaires.
Quand un objet réécrit le passé
Plus qu’un simple artefact, ce fragment d’ivoire est une fenêtre ouverte sur la complexité des sociétés de l’âge du cuivre. Il nous rappelle que nos ancêtres étaient bien plus connectés et mobiles que nous ne l’imaginons souvent. Loin de clore le débat, cette redécouverte invite les chercheurs à réexaminer d’autres objets oubliés dans les musées. Qui sait combien d’autres secrets de ce genre attendent encore d’être révélés ?
Selon la source : geo.fr