On l’imagine bondissant à travers les plaines arides de l’Outback, silhouette emblématique d’un continent entier. Mais derrière cette allure si singulière se cache une question fondamentale : pourquoi le kangourou saute-t-il ? Loin d’être un simple caprice de la nature, ce mode de déplacement est le fruit d’une histoire évolutive complexe, oscillant entre performance et contrainte.
Un mammifère à part
Avant même de parler de ses pattes, il faut se souvenir que le kangourou n’est pas un mammifère comme les autres. C’est un marsupial. Contrairement aux mammifères placentaires comme nous, dont le développement se fait longuement in utero, les marsupiaux naissent à un stade quasi embryonnaire. Chez le kangourou, après à peine plus d’un mois de gestation, un petit être de deux centimètres pour moins d’un gramme voit le jour. Cette « larve marsupiale », comme la nomment les scientifiques, rejoint alors la poche ventrale de sa mère pour s’y développer durant près de dix mois. Une stratégie de reproduction qui le place d’emblée dans une catégorie bien à part.
Une mécanique de précision
Cette singularité se retrouve dans sa locomotion. Le corps du kangourou est une formidable machine à sauter. Ses pattes arrière, surdimensionnées et musclées, agissent de concert, de manière synchronisée. Impossible pour lui de les bouger l’une sans l’autre pour marcher. Le secret réside dans une biomécanique redoutable, où le tendon d’Achille, exceptionnellement long et élastique, joue le rôle d’un ressort parfait.
À chaque atterrissage, ce tendon emmagasine l’énergie de l’impact pour la restituer au bond suivant. C’est un système d’une efficacité redoutable. En cas de danger, un grand kangourou peut franchir plus de neuf mètres en longueur et trois en hauteur. Des performances qui laisseraient pantois n’importe quel athlète olympique.
Le paradoxe de l'économie d'énergie
C’est là que réside tout le paradoxe. Si le démarrage et les déplacements lents, comme lorsqu’il broute à quatre pattes, lui coûtent beaucoup d’énergie, le saut à vitesse de croisière est incroyablement économique. Des études ont montré que plus un kangourou va vite, moins il consomme d’oxygène proportionnellement à sa vitesse, grâce à cet effet « ressort » de ses tendons. Au-delà de 20 km/h, il devient plus endurant que n’importe quel quadrupède de taille équivalente. C’est une adaptation parfaite pour parcourir de longues distances sans s’épuiser.
Remonter aux origines du saut
Mais alors, pourquoi l’évolution a-t-elle favorisé cette spécialisation extrême ? Les scientifiques n’ont pas encore de réponse unique, mais plusieurs pistes convergent. L’hypothèse la plus solide renvoie à un changement climatique majeur, il y a plusieurs millions d’années. Lorsque les forêts luxuriantes d’Australie ont laissé place à des savanes et des plaines bien plus arides, la donne a changé. Les points d’eau et la nourriture se sont raréfiés.
Dans ce nouvel environnement, les individus capables de couvrir de vastes territoires rapidement et efficacement pour trouver des ressources ou fuir des prédateurs auraient été avantagés. Le saut est apparu comme la solution la plus pertinente.
Les limites d'une hyper-spécialisation
Cette formidable adaptation a cependant un prix. Le kangourou est prisonnier de son propre talent. Comme ses pattes arrière ne peuvent fonctionner indépendamment, il est incapable de marcher. Plus étonnant encore, la structure même de ses muscles et de sa queue, qui lui sert de balancier, l’empêche de sauter à reculons. Il est physiquement condamné à aller de l’avant. Une particularité qui, au-delà de l’anecdote, illustre bien comment l’évolution, en privilégiant une solution, en ferme d’autres pour toujours.
le bond en avant, et seulement en avant
Le saut du kangourou n’est donc ni un choix, ni un simple hasard. C’est une nécessité inscrite dans ses gènes, une réponse brillante à une contrainte environnementale passée. Cet animal, qui ne peut physiquement pas faire marche arrière, continue de fasciner. Et il nous rappelle que chaque créature est une archive vivante, dont nous n’avons pas encore fini de déchiffrer toutes les pages.
Selon la source : science-et-vie.com