Ces fossiles changent tout : les premiers animaux peuplaient déjà les océans il y a plus de 600 millions d’années
Auteur: Adam David
Et si les premiers animaux n’avaient pas attendu la fameuse « explosion cambrienne » pour peupler les océans ? C’est la question vertigineuse que pose une nouvelle étude, qui s’appuie non pas sur des ossements, mais sur une discrète signature chimique cachée dans des roches vieilles de plus de 540 millions d’années. Une découverte qui pourrait bien nous obliger à repenser les tout premiers chapitres de l’histoire du vivant.
Sur la piste des fantômes chimiques
Pendant longtemps, traquer les origines de la vie animale revenait à chercher des fantômes. Les premiers organismes étaient mous, dépourvus de coquille ou de squelette, et n’ont donc laissé presque aucune trace fossile classique. Un vrai casse-tête pour les paléontologues. Mais depuis une vingtaine d’années, une autre approche a émergé : celle des biomarqueurs, des molécules fossiles qui agissent comme des cartes de visite laissées par des organismes disparus depuis des éternités.
C’est en suivant cette piste que des chercheurs du MIT avaient déjà fait une découverte intrigante en 2009. Dans des roches d’Oman, ils avaient identifié une famille de molécules, des stéranes, dont la structure suggérait fortement une origine animale, plus précisément celle des démosponges, des éponges marines primitives. Une piste prometteuse, mais qui laissait les scientifiques sur leur faim en raison de la rareté des échantillons et d’un doute persistant : et si ce n’était pas biologique ?
Dix ans de doutes, puis une révélation
Il aura fallu plus de dix ans de travail acharné pour transformer le soupçon en quasi-certitude. En multipliant les forages en Inde ou en Sibérie et en affinant leurs techniques d’analyse, les équipes ont mis la main sur quelque chose d’encore plus probant. Une nouvelle famille de stéranes, plus rare encore, avec une structure chimique bien particulière.
Ce nouvel indice, c’est un stéroïde que seules certaines espèces de démosponges produisent encore aujourd’hui. On ne parle plus d’une simple ressemblance, mais d’une signature moléculaire très spécifique. C’était un peu l’indice qui changeait tout, la pièce manquante du puzzle qui permettait de relier sans équivoque ces traces chimiques aux premiers animaux.
L'étau se resserre : la preuve par le laboratoire
Mais comment être sûr que cette molécule n’est pas le fruit du hasard ou d’une dégradation chimique d’un autre composé, par exemple issu d’une algue ? Pour en avoir le cœur net, les scientifiques ont mené l’enquête en laboratoire. Ils ont synthétisé plusieurs stérols produits par des organismes actuels et ont simulé leur fossilisation sur des centaines de millions d’années.
Le résultat est sans appel. Seuls deux composés, ceux issus des démosponges, correspondent parfaitement aux molécules retrouvées dans les roches précambriennes. Les autres hypothèses, comme une origine liée à des algues ou à des micro-organismes unicellulaires, ont été écartées. Leurs signatures chimiques ne collent tout simplement pas. La distribution très sélective de ces stéranes dans les sédiments a fini de convaincre les plus sceptiques.
Un calendrier de l'évolution à réécrire
Cette confirmation n’est pas qu’un détail pour spécialistes. C’est potentiellement tout le premier chapitre de l’histoire animale qui doit être revu. Jusqu’à présent, on considérait que la vie multicellulaire complexe avait véritablement explosé il y a 540 millions d’années, durant le Cambrien, avec l’apparition soudaine de la plupart des grands groupes d’animaux que l’on connaît.
Or, ces molécules fossiles prouvent que des animaux, certes simples comme des éponges, existaient déjà bien avant, durant la période de l’Édiacarien. L’« explosion » cambrienne ne serait donc pas tant une naissance qu’une diversification spectaculaire, une accélération d’un processus déjà enclenché des dizaines de millions d’années plus tôt, dans le silence des océans primordiaux.
le fil d'Ariane biochimique
Au-delà de cette réécriture de l’histoire, cette recherche ouvre une nouvelle fenêtre sur le passé le plus lointain. Elle montre que l’on peut traquer la vie invisible, celle qui n’a laissé ni os ni empreinte, en suivant à la trace ses signatures chimiques. Chaque roche sédimentaire devient une archive potentielle de la vie primitive.
Le plus fascinant, peut-être, c’est que ces molécules sont toujours fabriquées aujourd’hui par les lointaines descendantes de ces premières éponges. C’est un fil d’Ariane biochimique qui nous relie directement à l’aube du règne animal. Un lien ténu mais direct entre l’océan d’il y a plus de 540 millions d’années et celui que nous connaissons. Et la promesse que d’autres secrets, tout aussi fondamentaux, dorment encore dans la mémoire chimique de la Terre.
Selon la source : science-et-vie.com