Sans diplôme, Léonard de Vinci a redéfini l’art, la science et l’ingénierie : voici comment
Auteur: Adam David
On connaît tous Léonard de Vinci. La Joconde, ses machines volantes, une icône intouchable de la Renaissance. Mais derrière l’artiste se cache une figure bien plus complexe et longtemps controversée : celle d’un savant autodidacte, un touche-à-tout de génie qui, privé d’éducation formelle, a dû réinventer sa propre manière de comprendre le monde.
Un savant sans diplôme, une légitimité contestée
Disons-le clairement : pour l’élite intellectuelle de son temps, Léonard n’était pas un des leurs. Sa naissance illégitime lui fermait les portes de l’université, sanctuaire du savoir officiel. Cette exclusion a nourri pendant des siècles le procès qui lui a été fait. Certains historiens, comme le philosophe Pierre Duhem au début du XXe siècle, ont voulu le réduire à un simple technicien, un habile artisan qui ne faisait que reprendre les idées des autres. On a critiqué ses machines, les qualifiant de copies ou de fantasmes irréalisables.
Une vision réductrice, qui oublie l’essentiel : comment un homme sans accès direct aux textes anciens a-t-il pu développer une pensée scientifique si pointue ?
Le réseau et l'expérience comme unique université
Plutôt que de subir son sort, le Toscan a trouvé des chemins de traverse. L’examen de ses carnets montre un homme qui cherche, qui questionne, qui va frapper à la porte de ceux qui savent. Pour déchiffrer les mathématiques d’Euclide, il se rapproche du moine Luca Pacioli. Pour percer les secrets de l’anatomie selon Galien, il collabore avec le médecin Marcantonio della Torre. Il ne se contente pas d’écouter, il expérimente.
Certes, il s’est largement inspiré des ingénieurs qui l’ont précédé, comme Brunelleschi ou Francesco di Giorgio. Mais là où d’autres copiaient, lui analysait, décomposait et cherchait à dépasser. C’est sa méthode qui était révolutionnaire.
Quand l'observation défie les grandes théories
En physique, son approche est pragmatique. Il se fait expliquer les grands principes d’Aristote ou d’Archimède, mais il les passe systématiquement au crible de l’expérience. Prenez la théorie de l’« antipéristase », qui voulait qu’un projectile avance car l’air déplacé à l’avant venait le pousser par l’arrière. Léonard n’y croit pas. Pour le prouver, il tire avec une arquebuse dans une gourde remplie d’eau : la balle poursuit sa course, démontrant que c’est une force interne, un « impetus », qui la propulse.
De la même manière, il établit par des tests que le frottement dépend du poids, et non de la surface de contact. Il observe, dessine et comprend les turbulences de l’eau, les vortex, posant sans le savoir les bases de l’aérodynamique moderne.
L'anatomie, ou le corps humain comme vous ne l'aviez jamais vu
C’est sans doute en anatomie que son génie de l’observation atteint des sommets. Collaborant avec des médecins, il pratique des dizaines de dissections et produit des planches d’une précision inégalée. Il ne se contente pas de dessiner ce qu’il voit : il cherche à comprendre le fonctionnement.
Pour étudier le cerveau, il a une idée folle mais brillante : injecter de la cire dans les ventricules d’un crâne de bœuf pour en mouler la forme exacte. Il découvre ainsi la structure des cavités cérébrales. Ses études sur les valves aortiques et la circulation sanguine en tourbillons sont si avancées qu’elles ne seront confirmées que des siècles plus tard, avec l’imagerie moderne.
L'ingénieur : copieur ou visionnaire ?
Et ses fameuses inventions, alors ? Le char d’assaut, le parachute… Il est vrai que Léonard n’a pas tout inventé à partir de rien. Le principe du parachute existait dans un manuscrit siennois, et plusieurs de ses machines de guerre s’inspiraient d’ingénieurs comme Roberto Valturio. À une époque où la propriété intellectuelle n’existait pas, puiser dans les idées des autres était une pratique courante.
Pourtant, certains témoignages attestent qu’il a bien construit certaines de ses créations : un lion automate qui a stupéfié la cour de France, des ponts autoportants, des mécanismes de théâtre… Mais il est probable que nombre de ses dessins les plus complexes soient restés sur le papier. On a même découvert que les engrenages de son char d’assaut l’auraient fait tourner en rond. Une simple erreur, ou la preuve d’un projet purement théorique ? Le débat reste ouvert.
l'héritage d'un esprit libre
Ce qui rend Léonard de Vinci si fascinant, ce n’est pas tant ce qu’il a inventé, mais *comment* il l’a fait. Son véritable apport est méthodologique. Il a été l’un des premiers à décomposer la mécanique en ses éléments les plus simples (engrenages, cames, ressorts) pour mieux les recombiner. Il a perfectionné le dessin technique pour en faire un véritable outil d’analyse. Et surtout, il a regardé la nature – le vol des oiseaux, le courant de l’eau – comme une source inépuisable de solutions.
Au fond, son manque de formation classique fut peut-être sa plus grande force. Libéré du poids de la tradition scolastique, il n’avait qu’une seule boussole : ce que ses yeux lui montraient. Une leçon d’humilité et d’audace qui, aujourd’hui encore, continue de nous inspirer.
Selon la source : science-et-vie.com