Une étude révèle un lien inquiétant entre votre santé bucco-dentaire et un cancer agressif
Auteur: Simon Kabbaj
Après une longue journée, se brosser les dents peut parfois sembler être une corvée de trop. On a juste envie de s’effondrer dans son lit. Mais si cet acte anodin était bien plus important qu’on ne le pense ? Nous savons que l’alimentation ou le sport sont cruciaux pour la prévention du cancer, mais nous pensons rarement à notre bouche. Pourtant, une nouvelle recherche, qui fait grand bruit dans la communauté médicale, suggère un lien troublant entre les bactéries et les champignons présents dans notre salive et le risque de développer l’un des cancers les plus mortels : le cancer du pancréas. L’idée que notre bouche puisse détenir des indices pour dépister cette maladie silencieuse est une véritable révolution.
Le cancer du pancréas : pourquoi est-il si difficile à détecter ?
Le cancer du pancréas est l’un des plus redoutables, avec des taux de survie très faibles, souvent inférieurs à 10% pour les cas avancés. L’une des raisons de sa mortalité élevée est sa nature ‘silencieuse’. Les tumeurs peuvent grossir pendant des années sans provoquer de symptômes, jusqu’à ce qu’elles deviennent si grosses qu’elles appuient sur les organes voisins. Contrairement à d’autres cancers, il n’existe pas d’outil de dépistage précoce efficace. C’est pourquoi les chercheurs sont dans une quête acharnée de ‘biomarqueurs’ non invasifs, des signaux que le corps enverrait et qu’on pourrait détecter dans le sang, les selles, ou… la salive. Un test salivaire serait idéal : rapide, sûr et facile à répéter.
L'étude qui change la donne : des indices dans la salive de 122 000 personnes
Une étude d’envergure, publiée dans la prestigieuse revue JAMA Oncology, a exploré cette piste. Les chercheurs ont analysé les données de deux grandes cohortes de santé américaines, suivant plus de 122 000 personnes sur une période moyenne de neuf ans. Parmi elles, 445 ont finalement développé un cancer du pancréas. Les scientifiques ont alors comparé les échantillons de salive de ces patients, prélevés des années avant leur diagnostic, avec ceux de personnes en bonne santé. Grâce à des techniques de séquençage ADN avancées, ils ont pu cartographier les bactéries et les champignons présents dans la bouche de chaque participant. Cette méthode, qui regarde vers l’avenir (prospective), donne beaucoup plus de poids aux résultats que les études qui analysent les patients après le diagnostic.
Les bactéries qui tirent la sonnette d'alarme
Les résultats les plus frappants concernent des bactéries spécifiques. Trois d’entre elles se sont distinguées par leur forte association avec un risque accru de cancer du pancréas : Porphyromonas gingivalis, Eubacterium nodatum, et Parvimonas micra. Ce n’est pas un hasard : ces trois microbes sont bien connus pour leur rôle dans les maladies des gencives (parodontites). Ces maladies créent une inflammation chronique dans la bouche. Or, on sait que l’inflammation chronique est un véritable carburant pour le développement du cancer, car elle crée un environnement propice aux mutations cellulaires. La présence de ces bactéries pourrait donc être un signal d’alarme précoce.
Le rôle caché des champignons
L’étude a fait une autre découverte révolutionnaire en montrant que les bactéries n’étaient pas les seules coupables. Les champignons présents dans notre bouche, longtemps ignorés par la recherche sur le cancer, joueraient aussi un rôle. Quatre espèces de champignons ont été associées à un risque plus élevé de cancer du pancréas. Comme les bactéries, ils peuvent influencer la réponse immunitaire et alimenter l’inflammation. Ils vivent en communauté avec les bactéries dans ce qu’on appelle le biofilm buccal (la plaque dentaire), et pourraient interagir avec elles pour amplifier les risques. C’est une nouvelle pièce cruciale du puzzle.
Le 'score de risque microbien' : un outil pour l'avenir ?
Pour rendre ces données utiles, les chercheurs ont créé des ‘scores de risque microbien‘. Au lieu de se concentrer sur un seul microbe, ce score combine les effets de plusieurs bactéries et champignons associés au cancer. Les résultats ont montré que les personnes avec les scores les plus élevés avaient un risque nettement plus grand de développer un cancer du pancréas. Cette approche est prometteuse, car elle reflète mieux la complexité du microbiome. On peut facilement imaginer un futur test salivaire où un médecin n’aurait pas à chercher un microbe en particulier, mais évaluerait le profil microbien global pour estimer le risque d’une personne.
Attention, corrélation n'est pas causalité
Malgré l’enthousiasme, les chercheurs restent prudents. Ce type d’étude, même si elle est très vaste, montre une association, mais ne peut pas prouver un lien de cause à effet direct. Il est possible que ces microbes ne soient que des ‘marqueurs’ d’un autre problème sous-jacent (comme un système immunitaire affaibli ou une mauvaise alimentation), plutôt que les véritables déclencheurs du cancer. De nombreuses autres études seront nécessaires pour confirmer ces résultats et comprendre comment le mode de vie ou la génétique interagissent avec ces microbes.
La grande leçon : votre bouche est une fenêtre sur votre santé
Même avec ces incertitudes, cette étude met en lumière une vérité essentielle : la santé de notre bouche est intimement liée à notre santé générale. On a encore trop tendance à séparer les soins dentaires des soins médicaux, mais les preuves s’accumulent. Les maladies des gencives ont déjà été liées non seulement au cancer, mais aussi aux maladies cardiaques, au diabète et à des complications pendant la grossesse. Ce qui se passe dans notre bouche ne reste pas toujours dans notre bouche. Cette recherche renforce l’idée que des habitudes simples comme se brosser les dents et aller régulièrement chez le dentiste sont des actes de prévention pour tout notre corps.
Quelques habitudes naturelles pour une bouche saine
L’article mentionne quelques pratiques naturelles qui peuvent aider à maintenir une bonne hygiène bucco-dentaire. L’une d’elles est le ‘oil pulling‘ (bain de bouche à l’huile). La pratique consiste à faire circuler une cuillère à soupe d’huile de coco dans sa bouche pendant 10-15 minutes avant de se brosser les dents. Des recherches cliniques ont montré que les propriétés anti-inflammatoires et antimicrobiennes de l’huile de coco pouvaient réduire la charge microbienne. Une autre option est le clou de girofle (en huile ou en extrait), qui contient de l’eugénol, un composé naturel puissant connu pour ses effets antibactériens et anti-inflammatoires, très efficace contre les bactéries responsables des maladies des gencives.
Conclusion : un espoir pour l'avenir, une action pour aujourd'hui
La perspective de pouvoir un jour dépister un cancer aussi agressif que celui du pancréas grâce à un simple test de salive est à la fois excitante et pleine d’humilité. Elle nous montre à quel point nous avons encore à apprendre sur les microbes qui vivent en nous. En attendant que la science progresse, le message à retenir n’est pas de paniquer, mais de prendre conscience de l’importance de notre santé bucco-dentaire. C’est un aspect de notre bien-être que nous pouvons contrôler par des gestes simples et quotidiens. La bouche pourrait bien être l’une des fenêtres les plus précieuses sur les maladies cachées de notre corps.
Avertissement
Cet article est fourni à titre informatif uniquement et ne remplace en aucun cas un avis médical professionnel, un diagnostic ou un traitement. Les résultats présentés proviennent d’études scientifiques et peuvent ne pas s’appliquer à chaque individu.
Si vous avez des préoccupations concernant votre santé bucco-dentaire ou votre risque de cancer, consultez un professionnel de santé qualifié. Ne négligez jamais ni ne retardez une consultation médicale en raison d’informations lues ici.
Selon la source : moffitt.org