Et si les extraterrestres ne comprenaient rien à notre physique ? Le problème qui angoisse les scientifiques
Auteur: Simon Kabbaj
On adore les histoires d’extraterrestres, surtout quand elles nous retournent le cerveau. C’est exactement ce que propose le nouveau livre de Daniel Whiteson, physicien des particules au CERN, et de l’illustrateur Andy Warner. Intitulé Do Aliens Speak Physics? And Other Questions about Science and the Nature of Reality (‘Les extraterrestres parlent-ils la physique ? Et autres questions sur la science et la nature de la réalité’), ce livre est une exploration philosophique fascinante de notre quête de vie extraterrestre. Dans une interview avec l’auteur, l’ouvrage pose une question aussi simple que vertigineuse : et si la physique que nous pratiquons, celle dont nous sommes si fiers, n’était pas universelle ? Et si elle était profondément, irrémédiablement… humaine ?
Repenser l'équation de Drake pour un 'congrès scientifique intergalactique'
Pour organiser ses pensées, Daniel Whiteson part de la célèbre équation de Drake, qui tente d’estimer le nombre de civilisations intelligentes dans notre galaxie. Mais il la réinvente. Son but n’est pas seulement de trouver des extraterrestres intelligents, mais de trouver des extraterrestres avec qui on pourrait avoir une conversation scientifique enrichissante. C’est son ‘fantasme personnel’. Sa nouvelle équation ajoute donc des filtres cruciaux : ces extraterrestres font-ils de la science ? Se posent-ils les mêmes questions que nous ? Et surtout, acceptent-ils les mêmes types de réponses ? Si l’une de ces conditions n’est pas remplie, le ‘congrès scientifique intergalactique’ tombe à l’eau.
Le piège de la technologie : avoir des outils sans comprendre pourquoi ils marchent
Le premier filtre est déjà un obstacle de taille. On suppose souvent qu’une civilisation capable de voyager entre les étoiles doit être scientifique. Mais Whiteson, s’appuyant sur les historiens des sciences, rappelle que ‘la technologie ne requiert pas la science‘. L’humanité a utilisé des outils en pierre pendant des millions d’années, et a maîtrisé des technologies comme l’écriture, la fermentation, la métallurgie ou l’agriculture bien avant de comprendre les principes scientifiques qui les sous-tendent. Une civilisation extraterrestre pourrait donc être technologiquement très avancée, par essais et erreurs, sans jamais avoir développé une ‘mentalité scientifique’ comme la nôtre, basée sur la recherche de lois fondamentales.
L'émergence : l'univers est-il simple, ou le voyons-nous simplement ainsi ?
Le deuxième problème est encore plus profond. Pourquoi l’univers est-il compréhensible avec des outils mathématiques relativement simples ? C’est le mystère de l’émergence. Whiteson propose deux possibilités. Soit cette simplicité est une propriété fondamentale de l’univers, et dans ce cas, les extraterrestres verraient les mêmes ‘histoires‘ simples que nous (les planètes, les particules…). Soit cette simplicité n’est qu’un ‘filtre’ de notre cerveau humain. L’univers est peut-être un chaos de ‘bruit bourdonnant’, et nous ne percevons que les quelques histoires simples que notre esprit est capable de traiter. Dans ce cas, les extraterrestres, avec un cerveau différent, pourraient voir un univers totalement différent et se poser des questions que nous n’imaginerions même pas.
Le "pire" scénario (qui ravirait les philosophes)
Quel serait le pire scénario (non violent) ? Pas de trouver que nous sommes seuls. Mais de découvrir qu’il y a d’autres civilisations, mais qu’aucune ne fait de la science comme nous. « Nous serions seuls à la table du Congrès Scientifique Intergalactique », imagine Whiteson. Ce serait frustrant pour les physiciens, mais fascinant pour les philosophes. ‘C’est quand nous apprenons sur nos propres particularités’, explique-t-il. Découvrir que notre manière de faire de la science est unique nous en apprendrait énormément sur ce que signifie ‘être humain’.
Une quête de l'ego humain ?
Cette quête d’extraterrestres est-elle une quête de nous-mêmes ? ‘Oh, bien sûr. Définitivement’, répond Whiteson. C’est un paradoxe. D’un côté, trouver des extraterrestres qui nous ressemblent nous validerait, nous conforterait dans nos choix. De l’autre, cela nous rendrait moins spéciaux. Mais pour le physicien, peu importe la réponse, elle sera ‘époustouflante’. Il est tellement ‘pro-visite extraterrestre’ qu’il prend le risque : ‘Même si les extraterrestres arrivent et nous envoient dans les mines d’hydrogène, je pense toujours que ce serait intéressant !’
Quand la philosophie fait douter le physicien
Ce travail de réflexion a-t-il changé sa propre vision de la physique ? « Bonne question », répond-il. Il a réalisé que la physique des particules était remplie de gens avec des opinions philosophiques très fortes, mais qui pensent que la philosophie est une perte de temps, citant l’attitude de Richard Feynman : « les physiciens ont besoin des philosophes comme les oiseaux ont besoin des ornithologues« . Il voit une contradiction : ses collègues affirment que le quark top est ‘réel‘, qu’il existait avant qu’on le découvre. Mais, souligne Whiteson, ‘nous ne les voyons jamais… nous racontons des histoires sur la façon dont l’univers fonctionne. Mais à la fin, ce sont des histoires, et ce sont des histoires qui *nous* satisfont‘. On ne sait pas si ces mêmes histoires satisferaient d’autres intelligences.
Conclusion : une conversation avec nous-mêmes
Au final, ce livre est un voyage fascinant qui nous rappelle que notre science, notre quête de la vérité, est peut-être avant tout une entreprise profondément humaine. ‘Même si la physique n’est pas universelle, cela ne me rend pas moins intéressé par la physique’, conclut Daniel Whiteson. ‘C’est un puzzle super amusant… C’est une partie de ce que signifie être humain’. La recherche d’extraterrestres est peut-être, avant tout, un miroir tendu vers notre propre humanité. Le livre, Do Aliens Speak Physics?, sera publié par W. W. Norton & Company le 4 novembre 2025.
Selon la source : wwnorton.com