En médecine, presque chaque traitement a ses effets secondaires. Idéalement, des études rigoureuses et un processus réglementaire strict garantissent que les bénéfices d’un médicament l’emportent sur ses risques. Mais parfois, la réalité est bien plus sombre. Des effets secondaires passent entre les mailles du filet. Pire encore, il arrive que des entreprises dissimulent délibérément des informations incriminantes ou vendent des produits qui ne fonctionnent tout simplement pas. Le XXIe siècle a déjà connu son lot de scandales sanitaires majeurs. Voici un retour sur six des plus marquants de ce dernier quart de siècle.
1. Le talc pour bébé de Johnson & Johnson et l'amiante caché
Pendant des décennies, des milliers de personnes ont tenté, sans succès, de poursuivre en justice Johnson & Johnson, affirmant que ses produits à base de talc, en particulier sa célèbre poudre pour bébé, avaient causé leur cancer. Le tournant a eu lieu en 2018, avec un rapport explosif de l’agence de presse Reuters. L’enquête a révélé que l’entreprise avait caché pendant des décennies des preuves que son talc pouvait parfois contenir des niveaux détectables d’amiante, une substance hautement cancérigène. Cette révélation a déclenché une nouvelle vague de poursuites judiciaires. Depuis, J&J a perdu des procès se chiffrant en milliards de dollars, et ses appels ont été rejetés jusqu’à la Cour Suprême. Bien que l’entreprise maintienne que ses produits sont sûrs, elle a fini par remplacer le talc par de l’amidon de maïs dans toutes ses poudres et a même tenté, en vain, de se protéger de sa responsabilité via une faillite de filiale. Fait intéressant, l’Organisation Mondiale de la Santé considère que le talc contenant de l’amiante est cancérigène, tandis que le talc en général est « probablement cancérigène ». L’American Cancer Society, elle, estime que si le risque de cancer de l’ovaire est augmenté, cette augmentation est « probablement très faible ».
2. Aduhelm, le médicament contre Alzheimer qui ne fonctionnait pas
En juin 2021, la FDA (l’agence américaine du médicament) approuve l’Aduhelm, un nouveau médicament des laboratoires Biogen et Eisai contre la maladie d’Alzheimer. C’était censé être une révolution. Mais la décision a immédiatement fait scandale. Dans un geste rarissime, la FDA est allée à l’encontre de l’avis de son propre comité d’experts, qui avait voté contre l’approbation, jugeant les preuves de son efficacité « au mieux mitigées ». Le média STAT News a ensuite révélé une relation « inhabituellement amicale » entre les dirigeants de Biogen et les responsables de la FDA, ce qui a déclenché une enquête du Congrès. Pour couronner le tout, Biogen a fixé le prix initial du traitement à 56 000 dollars par an. Face au tollé, de nombreux médecins ont refusé de le prescrire et l’assurance maladie Medicare a sévèrement restreint sa couverture. Après des années de ventes dérisoires, Biogen a jeté l’éponge et a retiré l’Aduhelm du marché au début de 2024. Heureusement, depuis, d’autres médicaments similaires, avec une efficacité modeste mais réelle, ont été approuvés.
3. Purdue Pharma, l'OxyContin et la crise des opioïdes
Le laboratoire Purdue Pharma est peut-être devenu le symbole le plus tristement célèbre de la crise des opioïdes qui a dévasté les États-Unis. Son médicament vedette, l’OxyContin, un puissant analgésique, a massivement contribué à l’explosion des cas d’addiction après sa sortie en 1996. Après des années de déni, l’entreprise a fini par admettre avoir minimisé le risque d’addiction de son produit, avoir payé des pots-de-vin illégaux à des médecins pour qu’ils le prescrivent, et avoir fermé les yeux sur le détournement massif de ses médicaments vers le marché noir. Acculée par des milliers de procès, Purdue Pharma a fermé ses portes. Ses propriétaires, la famille Sackler, ont accepté de payer un accord de 4 milliards de dollars en 2021, porté à 6 milliards en 2023. Cependant, cet accord leur a également offert une immunité contre de futures poursuites civiles, une clause très controversée. Malgré une récente amélioration, environ 50 000 Américains sont encore morts d’une overdose d’opioïdes l’année dernière.
4. Martin Shkreli, le "Pharma Bro" et la flambée des prix
Parfois, le scandale ne vient pas du médicament, mais de son prix. En 2015, Martin Shkreli est devenu l’ennemi public numéro un lorsque son entreprise, Turing Pharmaceuticals, a acheté les droits du Daraprim, un médicament vital contre le VIH et le paludisme, et a augmenté son prix de plus de 5000%, passant de 13,50 dollars à 750 dollars la pilule. Son attitude arrogante et impénitente lui a valu le surnom de « Pharma Bro ». Ironiquement, il a été emprisonné en 2017 pour une autre affaire de fraude boursière. Mais la justice l’a rattrapé. En 2020, la FTC (la commission fédérale du commerce) a poursuivi son entreprise (renommée Vyera) pour « schéma anticoncurrentiel élaboré » visant à maintenir son monopole. Shkreli a finalement été condamné à payer une amende personnelle de 64 millions de dollars et à être banni à vie de l’industrie pharmaceutique, une décision confirmée par la Cour Suprême l’année dernière. Depuis sa sortie de prison en 2022, il tente de se reconvertir dans les cryptomonnaies et les IA médicales.
5. Abbott et le lait pour bébé contaminé
Au début de 2022, la FDA a lancé une alerte urgente : ne plus utiliser certaines formules de lait en poudre pour bébé produites par la société Abbott Nutrition. Les produits étaient contaminés par une bactérie dangereuse, la Cronobacter. Plusieurs enfants ont été hospitalisés et deux nourrissons sont décédés. Abbott a dû procéder à un rappel massif et fermer son usine de Sturgis, dans le Michigan. L’enquête de la FDA a révélé que l’entreprise n’avait pas respecté les conditions sanitaires et que l’usine avait connu au moins huit cas de contamination à la Cronobacter depuis 2019. La fermeture de l’usine pendant quatre mois a contribué à une pénurie nationale de lait infantile. La FDA a également été critiquée pour sa réponse tardive, ayant eu vent de problèmes dès septembre 2021. Plus inquiétant encore, un rapport de ProPublica en avril 2025 a affirmé, sur la base de témoignages d’employés, que de graves risques sanitaires persistaient dans l’usine à ce jour.
6. Elizabeth Holmes et le mensonge Theranos
C’est le scandale qui a fasciné la Silicon Valley. En 2003, Elizabeth Holmes fonde Theranos avec une promesse révolutionnaire : un appareil, l’Edison, capable de réaliser des centaines de tests sanguins avec une seule goutte de sang prélevée au bout du doigt. S’inspirant de Steve Jobs avec son col roulé noir, elle devient une icône, sa fortune atteignant près de 5 milliards de dollars. Le problème ? Tout était faux. À partir de fin 2015, le journaliste John Carreyrou du Wall Street Journal a révélé la fraude. L’appareil Edison n’a jamais fonctionné. Pour honorer son partenariat avec la chaîne de pharmacies Walgreens, Theranos utilisait en secret… des machines de laboratoire traditionnelles. Le mensonge n’a pas seulement trompé les investisseurs ; il a mis en danger des patients, qui ont reçu des résultats erronés (faux positifs au VIH, etc.). Elizabeth Holmes a été condamnée pour fraude en 2022 à 11 ans de prison (peine ensuite réduite de deux ans), tandis que son co-dirigeant et ex-compagnon, « Sunny’ Balwani, a écopé de près de 13 ans.
Selon la source : gizmodo.com