L’énigme du Lupus enfin décodée ? Le rôle troublant d’un virus que nous portons presque tous
Auteur: Mathieu Gagnon
Ce pathogène infectieux, que l’on retrouve silencieusement chez près de 19 Américains sur 20 – et probablement dans une proportion similaire dans le reste du monde, d’ailleurs – serait directement responsable. Les scientifiques, menés par le Dr William Robinson, affirment que l’EBV parviendrait à détourner un nombre minuscule de cellules immunitaires, les faisant devenir « mutines », pour ensuite lancer une attaque généralisée contre les tissus de notre propre corps. C’est la conclusion d’une étude publiée dans Science Translational Medicine, et le Dr Robinson lui-même estime qu’il s’agit de la découverte la plus importante de toute sa carrière. C’est dire l’impact!
Ce virus que nous portons tous : Mononucléose et latence
Le problème avec l’EBV, c’est qu’une fois que vous l’avez, vous ne pouvez plus vous en débarrasser. Il appartient à cette famille de virus, comme l’herpès ou la varicelle, qui déposent leur matériel génétique dans le noyau de certaines de nos cellules, où ils se mettent à « dormir ». Ils restent là, tapis dans l’ombre, cachés de notre système immunitaire, en état de latence. Ils peuvent se réactiver parfois, bien sûr, mais la plupart du temps, on les porte sans le savoir. Et ce sommeil peut durer tant que la cellule hôte, comme les fameuses cellules B, reste en vie. Une présence permanente, donc.
Le mystère du Lupus et le facteur féminin
Les conséquences sont graves, car le dommage peut toucher n’importe quel organe ou tissu : la peau, les articulations, les reins, le cœur, les nerfs… D’une personne à l’autre, les symptômes sont extrêmement variés. Mais il y a une incohérence frappante qui a longtemps intrigué les chercheurs : pour des raisons encore inconnues, neuf patients atteints de lupus sur dix sont des femmes. Même si la plupart des patients mènent une vie relativement normale grâce aux traitements, pour environ 5 % d’entre eux, le trouble peut être mortel. Et surtout, les traitements actuels ralentissent la progression, mais ils ne guérissent pas. D’où l’importance capitale de cette nouvelle étude.
Le rôle paradoxal des cellules B et l'auto-réactivité
Notre corps est rempli de ces cellules B, des centaines de milliards ! Et grâce à une réplication un peu « bâclée » (mais voulue par l’évolution pour créer de la diversité), elles peuvent générer des milliards de formes d’anticorps différentes. Le hic, c’est que 20 % de nos cellules B sont « autoréactives ». Elles sont conçues pour cibler nos propres tissus. Heureusement, la plupart du temps, elles sont dans un état « endormi » (une inertie un peu léthargique, si vous voulez) et nous laissent tranquilles. Mais quand elles se réveillent, elles produisent des « anticorps antinucléaires », la marque distinctive du lupus, qui attaquent le contenu de nos noyaux cellulaires partout dans le corps.
L'interrupteur moléculaire EBNA2 : le facteur 25
Cependant, chez les patients lupiques, ce taux monte à environ une cellule B sur 400. C’est une différence de 25 fois ! C’est énorme. Comment un si petit nombre de cellules infectées peut-il provoquer une attaque auto-immune aussi puissante ? La réponse réside dans une protéine virale, EBNA2. Bien que le virus soit presque inactif, il demande parfois à la cellule B de produire cette seule protéine. EBNA2 agit alors comme un interrupteur — un facteur de transcription — qui active toute une batterie de gènes humains, qui étaient au repos. Au moins deux de ces gènes activés sont eux-mêmes des facteurs de transcription, amplifiant encore l’effet.
L'escalade de l'attaque auto-immune
Dès que cette milice auto-immune atteint une certaine taille, peu importe si les nouvelles recrues sont infectées ou non. C’est l’accumulation de ces cellules qui ciblent le noyau de nos cellules qui déclenche la crise de lupus. C’est fascinant, n’est-ce pas ? La faute revient donc initialement à cette petite fraction de cellules B qui, sous l’influence du virus, se sont mises à donner l’alarme et à lancer l’assaut contre nos propres tissus. On comprend mieux, soudain, pourquoi la maladie est si difficile à maîtriser.
Les grandes questions qui restent en suspens
D’ailleurs, le chercheur soupçonne fortement que cette cascade d’activation générée par l’EBV pourrait ne pas s’arrêter au lupus. Il entrevoit des liens possibles avec d’autres maladies auto-immunes dévastatrices comme la sclérose en plaques, la polyarthrite rhumatoïde et la maladie de Crohn, où l’on a déjà observé des signes d’activité de l’EBNA2 initiée par l’EBV. C’est une piste de recherche incroyablement vaste et pleine d’espoir. Enfin, notons que plusieurs entreprises travaillent actuellement sur un vaccin contre l’EBV, mais il faudrait l’administrer très tôt, idéalement peu après la naissance, car il serait inefficace contre le virus déjà latent chez un adulte.
Un espoir pour l'avenir des traitements
Plutôt que de simplement calmer l’inflammation généralisée (ce que font les traitements actuels), les futures approches pourraient cibler spécifiquement ce processus d’activation virale au sein des cellules B. C’est un changement de paradigme, une nouvelle façon d’envisager la maladie. Même si le chemin vers un remède complet est encore long, comprendre la cause exacte est la première et la plus cruciale des étapes. C’est un message d’espoir immense pour tous ceux qui vivent avec le lupus, et peut-être bientôt, pour ceux qui souffrent d’autres maladies auto-immunes mystérieuses.
Selon la source : medicalxpress.com