Dans les rayons des supermarchés, les produits étiquetés « sans gluten » continuent de séduire une clientèle toujours plus large. L’argumentaire est souvent simple : ce régime est perçu, à tort ou à raison, comme un gage de meilleure santé ou un outil de minceur. Pourtant, une analyse approfondie des recettes révèle une réalité moins idyllique. Comme le soulignent Dominique Desclaux et Marie-Françoise Samson, chercheuses à l’Inrae, ces aliments de substitution cachent souvent une surprenante quantité d’additifs et d’ingrédients de structure, sans parler d’une teneur en eau parfois très élevée.
Qui sont vraiment les consommateurs de sans gluten?
L’adoption d’une alimentation sans gluten est loin d’être uniforme. Si le noyau dur reste les personnes atteintes de la maladie cœliaque (plus de 75 % des personnes évitant le gluten dans une enquête britannique de 2019), la tendance est largement portée par le grand public cherchant le « bien-être ». Aux États-Unis, 30 % des Américains se déclaraient intéressés par ce régime en 2013, principalement car ils le pensaient plus sain.
En France, l’enquête Nutrinet de 2016 suggérait que plus de 10 % des participants éviteraient le gluten, même si la restriction stricte ne concerne que 1,65 %. Pour les non-malades, l’attrait principal réside dans la promesse d’un confort physique immédiat et à long terme, suivi par l’espoir d’une perte de poids. Ce profil de consommateur est souvent jeune et majoritairement féminin.
L'enjeu structurel : l'irremplaçable gluten du pain
Pour comprendre la complexité des produits de substitution, il faut revenir au rôle irremplaçable du gluten. Dans les produits à base de blé, comme le pain, ce réseau protéique se développe au pétrissage, conférant à la pâte son élasticité et, surtout, sa capacité à piéger le gaz carbonique produit lors de la fermentation. C’est ce mécanisme, qui se fige à la cuisson, qui donne sa légèreté et sa stabilité aux produits de boulangerie. Sans cette structure, reproduire la texture et le volume d’un pain classique devient un véritable défi technologique pour l’industrie agroalimentaire.
Amidon de maïs et gomme de xanthane : la longue liste des substituts
Puisque la star du blé manque à l’appel, les fabricants doivent s’appuyer sur d’autres bases, principalement des amidons. Celui du maïs est l’ingrédient phare dans près de 60 % des recettes, souvent complété par de la farine de riz blanc. Si ce duo permet d’obtenir un volume important, il donne en revanche un pain plutôt sec et friable. On ajoute ensuite des amidons modifiés, de la fécule de pomme de terre ou du tapioca pour affiner la texture.
Pour reproduire l’élasticité perdue et surtout retenir l’eau — essentielle dans ces recettes — les industriels ont massivement recours aux agents de texture, ou hydrocolloïdes, présents dans plus de 80 % des formulations. Le plus courant est l’hydroxypropyl méthylcellulose (HPMC), sans oublier les gommes de xanthane ou de guar, dont l’unique but est de contrefaire la fonction structurante du gluten.
Protéines, sucres et gras : des ajouts fonctionnels
Le processus ne s’arrête pas là. Des protéines, provenant souvent de l’œuf, du soja ou du pois, sont incorporées pour la structure et pour développer des arômes lors de la cuisson via la réaction de Maillard. Il est également nécessaire d’ajouter des sucres (saccharose, sirops divers) comme « carburant » pour les levures et pour assurer la coloration désirée. Ces sucres sont des ingrédients que l’on ne trouverait pas, ou peu, dans un pain de tradition française.
Enfin, des huiles et matières grasses (colza, tournesol, parfois palme) sont intégrées. Elles permettent d’améliorer la sensation d’humidité en bouche et d’augmenter la souplesse de la mie. Ces ajouts visent surtout à compenser la piètre durée de conservation de ces produits, jugée souvent décevante par les consommateurs.
Le cas particulier des pâtes et biscuits
Tous les produits de substitution n’exigent pas une telle complexité. Les pâtes alimentaires et les biscuits affichent généralement des listes d’ingrédients bien plus courtes. Pour les pâtes, par exemple, la substitution est souvent réussie avec 100 % de légumineuses (lentilles, pois chiches) ou un mélange simple de farine de riz et de maïs. Seuls quelques émulsifiants sont parfois requis.
La composition des biscuits est également plus « légère », dans la mesure où l’on n’a pas besoin de l’effet de levée du pain. Ils sont généralement élaborés à partir d’amidon de maïs et de farine de riz, auxquels on ajoute sucre, matières grasses, sel et levure chimique. Le défi de la structure est nettement moins critique que pour les produits de boulangerie.
une qualité nutritionnelle en deçà des attentes
Si les industriels ont réalisé des progrès considérables pour améliorer l’aspect et le goût des produits sans gluten — luttant contre la sensation de texture dure ou de « carton » des débuts — le bilan nutritionnel global reste mitigé. En comparaison de leurs équivalents traditionnels, les produits sans gluten transformés (pains, gâteaux, snacks) sont souvent de qualité inférieure. Le consommateur qui choisit ce régime pour des raisons de bien-être, par désir d’éviter l’ultratransformation, se retrouve donc, paradoxalement, avec des aliments de substitution qui sont, par nécessité technique, parmi les plus formulés et les plus industriels.
Selon la source : science-et-vie.com