Ces écrans tactiles dans nos voitures sont-ils réellement plus dangereux que l’alcool au volant?
Auteur: Adam David
La question posée par notre lectrice Marie Pépin est d’une actualité brûlante : alors que les tableaux de bord se transforment en tablettes sophistiquées, sont-ils devenus des sources de distraction majeures, voire dangereuses ? La réponse, hélas, semble être un oui catégorique, étayée par plusieurs études scientifiques menées des deux côtés de l’Atlantique.
Selon les données recueillies par des chercheurs américains, l’utilisation fréquente d’un écran tactile en conduisant multiplie par dix les moments d’inattention par rapport à un automobiliste qui ne s’en sert jamais. C’est un constat amer qui interroge sérieusement la sécurité des interfaces modernes.
Un tiers du temps hors de la route
C’est ce que révèle Gabriel Anderson, psychologue à l’Institut de transport de Virginia Tech (VTTI), dont l’équipe a mené une étude naturelle pendant six mois. Les chercheurs ont équipé plus de 200 voitures de caméras pour observer le comportement réel des conducteurs. Leurs chiffres sont éloquents : un automobiliste interagissant régulièrement avec son écran tactile quitte la route des yeux entre 20 et 30 % du temps passé au volant.
Ce pourcentage est d’autant plus frappant lorsqu’on le compare aux commandes traditionnelles. Pour ajuster, par exemple, le volume de la radio ou la température de l’habitacle via de simples boutons physiques, le conducteur ne regarde pas la route qu’environ 7 % du temps. La différence est spectaculaire et met en lumière le coût cognitif élevé des interfaces tactiles. Une autre étude, plus vaste, est d’ailleurs en cours au VTTI, intégrant les données des téléphones et des « boîtes noires » pour quantifier le risque d’accident réel.
Plus lent que sous faible influence
Au Royaume-Uni, le Laboratoire de recherche sur les transports (TRL), près de Londres, est arrivé à des conclusions tout aussi alarmantes. En utilisant un simulateur de conduite sophistiqué, les experts ont cherché à mesurer l’impact de ces distractions sur le temps de réaction.
Le résultat le plus inquiétant ? L’augmentation du temps de réponse engendrée par la manipulation de l’écran tactile s’est avérée supérieure à celle causée par une consommation modérée de cannabis ou d’alcool, sans toutefois dépasser la limite légale d’alcoolémie, comme l’a précisé Neale Kinnear, l’auteur principal de l’étude publiée en 2020. En d’autres termes, interagir avec un GPS ou une playlist peut rendre le conducteur moins réactif que s’il avait bu un verre de vin.
Le coût cognitif de la liste d'épicerie
L’étude du TRL a testé des tâches courantes via les systèmes de réplication de téléphone (Apple CarPlay et Android Auto). Les « cobayes » devaient effectuer des opérations complexes en roulant : consulter une liste de courses, chercher une chanson précise sur Spotify, envoyer un message ou encore trouver une station-service sur une carte.
Le niveau de concentration requis pour ces tâches a totalement submergé les participants. Questionnés par la suite sur la liste d’épicerie qu’ils venaient pourtant de consulter, la majorité ne se souvenait que de deux éléments sur six. Une preuve manifeste que l’attention nécessaire à la conduite était complètement détournée vers l’écran, même pour des opérations que l’on pensait « simples ».
De la commande vocale au volant-souris
Face à ce risque grandissant, des solutions sont envisagées. D’un côté, des institutions comme le TRL plaident logiquement pour un usage maximal des commandes vocales afin de laisser les mains du conducteur sur le volant et les yeux sur la route.
De l’autre, certains ingénieurs tentent de repenser l’interface physique elle-même. La firme SmartGrips, par exemple, travaille sur une solution pour transformer le volant en une sorte de souris géante. John Botti et Bradley Davis expliquent que leur technologie permettrait d’utiliser toute la circonférence du volant pour interagir avec l’écran tactile ou le téléphone, en reproduisant les gestes habituels : taper, glisser, zoomer. Ces volants d’un nouveau genre devraient être testés par l’Université du Michigan dès 2026.
l'apprentissage nécessaire
En attendant des réglementations ou des innovations technologiques adaptées, les conducteurs doivent faire preuve de prudence. Neale Kinnear donne d’ailleurs un conseil pratique qui pourrait devenir la norme : « Quand on loue une voiture en voyage, il faut de plus en plus souvent prendre quelques dizaines de minutes pour s’assurer que l’on comprend parfaitement l’écran tactile. »
De nos jours, des fonctions essentielles à la sécurité, comme le dégivrage ou l’activation des phares, sont souvent centralisées dans des menus numériques complexes. Là où l’on pouvait démarrer immédiatement, il est désormais crucial de faire un apprentissage préliminaire avant de prendre la route. Les résultats des grandes études en cours devraient d’ici quelques années contraindre l’industrie automobile à trouver un équilibre entre design futuriste et sécurité de base.
Selon la source : lapresse.ca