Pris entre la faim et les filets industriels, le piège mortel des manchots africains
Auteur: Adam David
Un océan qui devient une impasse

L’océan, malgré son immensité apparente, ne suffit plus à garantir la sécurité des espèces qui en dépendent. Pour le manchot africain, emblème des côtes sud-africaines, chaque plongée est devenue une mise en péril. Ces oiseaux, déjà menacés par la raréfaction de leurs proies, tombent de plus en plus souvent nez à nez avec les engins de pêche industrielle.
Cette convergence mortelle entre la faim et les filets met en lumière une tension invisible entre les besoins de reproduction des oiseaux et les exigences économiques des chalutiers. Mais grâce à un nouvel indicateur, les scientifiques peuvent enfin quantifier avec précision la véritable ampleur de ce conflit.
L’équilibre rompu des anchois et des sardines

La survie de ces petits oiseaux marins repose sur un équilibre environnemental d’une extrême fragilité. Ils doivent impérativement trouver des sardines et des anchois pour nourrir leurs poussins. Or, ces poissons pélagiques constituent également la cible privilégiée de la pêche industrielle, qui utilise notamment la senne coulissante, un filet géant capable d’encercler des bancs entiers.
Tant que l’abondance est au rendez-vous, une forme de cohabitation est possible. Mais lors des années de pénurie, la situation bascule. Les stocks sont devenus de plus en plus imprévisibles, obligeant les oiseaux à parcourir de longues distances, souvent en vain.
Quand la pénurie resserre l’étau
L’année 2016 est restée gravée comme un signal d’alarme. La biomasse de jeunes anchois recensée au large du Cap avait alors chuté à un niveau critique, plus de deux fois inférieur à la moyenne des trois décennies précédentes. Moins nombreux et plus dispersés, les poissons sont devenus difficiles à localiser, pour les oiseaux comme pour les pêcheurs.
Le résultat est implacable : tout le monde converge vers les rares poches de ressources restantes. C’est précisément cette convergence, que l’on pourrait qualifier d’effet d’entonnoir, qui terrorise les écologues. Une année plus tard, lorsque l’abondance des anchois a dépassé les 2,5 millions de tonnes, la cohabitation s’est, en comparaison, naturellement apaisée.
Au-delà des cartes : mesurer l’intensité du conflit
Jusqu’à présent, les mesures d’interaction entre les manchots et les navires de pêche reposaient sur de simples cartes géographiques. On repérait les zones de chevauchement spatial, mais cette approche restait superficielle et trompeuse. Elle ne disait rien de l’impact réel sur la survie des oiseaux.
C’est pour combler cette lacune qu’une équipe internationale, menée par l’Université de St Andrews et des chercheurs sud-africains et britanniques, a introduit une nouvelle métrique. Dans leur étude publiée en septembre 2025 dans le Journal of Applied Ecology, les scientifiques ont modélisé le nombre d’individus effectivement touchés par ces recoupements, et non seulement la zone concernée.
Le choc des pourcentages

Ce nouvel indice, baptisé « intensité d’overlap » (ou intensité de recouvrement), a changé la donne. Il révèle qu’une zone de conflit apparemment limitée sur une carte peut en réalité être critique. En 2016, par exemple, seulement 20 % des trajets des manchots coïncidaient spatialement avec les activités de pêche.
En revanche, lorsque l’on appliquait le prisme de l’intensité d’impact, ce chiffre montait brutalement à 83 % de recouvrement. En clair, presque tous les efforts de pêche se concentraient dans des zones vitales utilisées par une part significative des oiseaux, et cela en pleine période de nourrissage des poussins. C’est le moment où l’accès à la nourriture est le plus crucial pour la survie de la colonie.
Les points chauds de la concurrence
Ces données, confirmées par des suivis GPS précis sur plusieurs centaines de manchots, sont d’autant plus inquiétantes qu’elles pointent des « hotspots » de concurrence extrêmes. Le nord-est de Robben Island est par exemple identifié comme une zone de conflit majeure.
À cet endroit, les navires industriels viennent littéralement intercepter les couloirs de migration des poissons avant même que les oiseaux ne puissent s’y aventurer. Cette perturbation brutale de l’accès aux proies a un effet démultiplié sur une espèce déjà en chute libre : la population de manchots africains a diminué de 78 % en l’espace de trente ans.
Vers une protection marine dynamique

Face à cette pression mesurée, les réponses politiques doivent s’adapter. L’Afrique du Sud a déjà expérimenté des zones de non-pêche autour de certaines colonies, comme Dassen et Robben Islands. Ces fermetures temporaires ont apporté la preuve de leur efficacité, se traduisant par une amélioration notable de la condition physique des poussins.
Pourtant, l’étude Glencross montre que les périmètres protégés actuels ne couvrent pas toutes les poches d’interaction critiques. La voie à suivre semble être la mise en place d’aires marines protégées (AMP) dynamiques, capables de s’ajuster rapidement aux variations annuelles de la biomasse et aux migrations des proies. Les outils scientifiques existent désormais. Reste à savoir si la volonté politique suivra le rythme de la survie de l’espèce.
Ce contenu a été créé avec l’aide de l’IA.