L’invasion silencieuse : la fourmi noire qui bâtit des supercolonies et ravage les potagers européens
Auteur: Adam David
L’Europe est confrontée à une menace biologique dont les conséquences économiques et écologiques ne cessent de croître. Lorsque l’on parle d’invasion, on pense souvent à des espèces spectaculaires, mais le danger peut venir de plus petit. Aujourd’hui, c’est une fourmi noire et brillante, Tapinoma magnum, qui s’est signalée par des foyers d’invasion massifs à travers le continent.
Si cette espèce ne présente pas, pour l’heure, de risque sanitaire immédiat, sa capacité à former des supercolonies colossales cause déjà des dégâts considérables dans nos villes, nos fermes et même dans les milieux naturels. Face à l’urgence, la recherche s’organise pour cartographier cette invasion, comprendre ses mécanismes et, surtout, explorer des solutions viables pour en limiter les effets dévastateurs.
Une nouvelle vague d’envahisseuses
L’introduction et la prolifération d’espèces animales ou végétales hors de leur aire d’origine, appelées invasions biologiques, bousculent violemment les écosystèmes locaux, souvent au détriment de la biodiversité. Dans ce triste palmarès, les fourmis tiennent une place de choix. L’Europe, traditionnellement relativement épargnée (malgré la présence de la fourmi d’Argentine le long de la Méditerranée), voit désormais de nouvelles menaces frapper à sa porte.
On a beaucoup parlé de la fourmi de feu rouge (Solenopsis invicta) détectée en Sicile, ou de la fourmi électrique (Wasmannia auropunctata) signalée dans le Var – deux espèces réputées pour causer des dommages majeurs. Mais, curieusement, dans l’ombre de ces menaces spectaculaires, c’est une autre espèce, plus discrète mais massive, qui monopolise désormais l’attention en Europe occidentale : Tapinoma magnum.
Des colonies qui cachent des supercolonies
L’histoire de cette invasion commence vers 2011, lorsque chercheurs et naturalistes repèrent des fourmis du genre Tapinoma, d’une taille de 2 à 5 millimètres, montrant un comportement étrangement envahissant en France, en Allemagne et en Italie. Initialement, elles furent confondues avec T. nigerrimum, une espèce méditerranéenne connue pour être inoffensive.
La surprise fut totale sur le terrain : ces colonies étaient en réalité de vastes réseaux de nids interconnectés par des pistes d’ouvrières, constituant des supercolonies couvrant parfois plusieurs hectares. Il fallut attendre une analyse détaillée, combinant morphologie et génétique en 2017, pour comprendre que T. nigerrimum regroupait en fait au moins quatre espèces distinctes. Trois d’entre elles – T. darioi, T. ibericum et surtout T. magnum – sont les véritables responsables de ces vagues d’invasion.
La piste des oliviers centenaires
Si certaines espèces invasives du genre Tapinoma, comme T. darioi, pourraient être indigènes à certaines régions côtières, la situation est bien plus complexe pour T. magnum. Ses origines probables se situent entre les États du Maghreb et la péninsule italienne.
Curieusement, les analyses génétiques ont mis en évidence que l’écrasante majorité des populations importées dans les régions non-méditerranéennes d’Europe provient du sud de l’Italie, notamment de Sicile, de Calabre et des Pouilles. Les fourmis ont manifestement profité d’un vecteur de transport inattendu mais efficace : le commerce de plantes, en particulier celui des grands oliviers centenaires espagnols et italiens. Cette hypothèse a été largement confirmée par des travaux menés avec les pépiniéristes, qui hébergeaient souvent ces fourmis. Cependant, d’autres vecteurs, tels que les transports de déchets verts, les plantes ornementales ou même les véhicules, sont également des moyens de dispersion non négligeables.
Rapides, brillantes et destructrices
Comment identifier Tapinoma magnum ? C’est une fourmi noire et brillante, remarquablement rapide. Ses ouvrières sont de taille variable et, si on les écrase (ce qu’il vaut mieux éviter), elles dégagent une odeur caractéristique, parfois décrite par les naturalistes comme rappelant le beurre rance. Cependant, pour être certain de l’invasion, l’indice le plus fiable reste l’observation de multiples nids reliés par des pistes denses et constantes.
Si l’espèce n’est pas un danger direct pour la santé (sauf contact très rapproché avec des nids ultra-populeux), son impact environnemental et économique est sévère. Dans les cultures maraîchères, les pertes sont parfois dramatiques : les fourmis déplacent d’énormes quantités de terre, exposent les racines et, surtout, élèvent des colonies massives de pucerons pour exploiter leur miellat. Un maraîcher bio dans la Drôme a ainsi perdu les deux tiers de son chiffre d’affaires à cause d’une supercolonie. En ville, elles contaminent les cuisines de restaurants, font fuir les clients des terrasses et peuvent même entraîner le refus ou le renvoi d’objets fabriqués à l’exportation.
La recherche s'organise face à un ennemi adaptable
Le potentiel d’adaptation de Tapinoma magnum est très élevé. Contrairement à d’autres espèces envahissantes, celle-ci a été importée de multiples régions, ce qui lui confère une forte diversité génétique. Couplée aux effets du changement climatique qui favorisent son installation, nous devons nous attendre à la voir se répandre rapidement sur l’ensemble du territoire européen.
Face à cette menace, plusieurs groupes de recherche en France (à Lyon, Avignon, Montpellier et Tours) travaillent activement pour caractériser ces espèces. Les scientifiques étudient leurs mécanismes de dispersion, leur écologie et leur génétique afin de mettre au point des méthodes de lutte concrètes. Ces travaux, menés en collaboration avec les acteurs de terrain et les collectivités, devraient aboutir à des outils et des stratégies de lutte opérationnelles d’ici deux ans.
Prévenir l'expansion avant qu'il ne soit trop tard
En attendant ces solutions de grande ampleur, la vigilance et la prévention restent nos meilleures armes. Pour les particuliers qui suspectent une invasion, il est conseillé de commencer la lutte dès les premiers signes, même si les désinsectiseurs classiques sont souvent débordés par l’ampleur des supercolonies.
Pour les professionnels, paysagistes et collectivités territoriales, la prévention est essentielle : il faut inspecter minutieusement les plantes ornementales importées, surveiller le transport de déchets verts et s’assurer que les fourmis ne s’installent pas sur les parkings ou dans les entrepôts. Il n’existe pas encore de solution « clé en main » contre ces supercolonies fluides, mais en agissant de manière coordonnée et en sollicitant l’expertise des laboratoires, il est peut-être possible d’endiguer, ou du moins de ralentir, l’avancée de cette fourmi noire qui déjoue tous les pronostics.
Selon la source : science-et-vie.com
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