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Cartographier l’invisible : De nouveaux indices sur la matière et l’énergie noires révélés par la science
Crédit: lanature.ca (image IA)

Une plongée dans l’obscurité cosmique

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C’est tout de même vertigineux quand on y pense : dans notre conception standard de l’univers, la quasi-totalité de ce qui existe nous échappe totalement. Environ 95 % du cosmos est constitué de matière noire et d’énergie noire, deux substances que nous ne pouvons ni voir directement, ni comprendre tout à fait. Ce n’est pas rien, 95 %. C’est comme si vous regardiez l’océan et que vous ne voyiez que l’écume des vagues, en ignorant l’immensité de l’eau en dessous.

Pourtant, même si elles jouent à cache-cache avec nos instruments, ces composantes invisibles sont les véritables architectes de notre réalité. La matière noire, par sa gravité, influence la façon dont les galaxies se forment et s’agglutinent, tandis que l’énergie noire, elle, pousse l’expansion de l’espace à s’accélérer. Pour tenter d’y voir plus clair, les scientifiques n’ont pas d’autre choix que d’observer les effets indirects de ces forces sur les objets visibles. C’est exactement ce qu’ont fait des chercheurs de l’Université de Chicago, en analysant une toute nouvelle région du ciel grâce à des données fascinantes.

Entre 2013 et 2019, une initiative majeure appelée le Dark Energy Survey (DES) a collecté une quantité phénoménale d’observations. Ils ont utilisé la Caméra à l’Énergie Sombre (DECam), un bijou technologique monté sur le télescope Blanco de 4 mètres, situé à l’Observatoire interaméricain de Cerro Tololo, au Chili. À l’époque, cette enquête avait permis de mesurer avec précision la forme de plus de 150 millions de galaxies réparties sur 5 000 degrés carrés, soit environ un huitième de la voûte céleste. Cette carte détaillée était déjà une prouesse, aidant les scientifiques à comprendre comment la matière est distribuée.

Le projet DECADE : Recycler les données pour doubler la mise

credit : lanature.ca (image IA)

Mais l’histoire ne s’arrête pas là, et c’est ici que ça devient ingénieux. La caméra DECam ne s’est pas contentée de filmer les zones officielles du sondage DES ; elle a aussi capturé, presque par accident ou pour d’autres projets, des images de vastes zones situées au-delà des frontières initiales. Dans une nouvelle série d’études publiées récemment dans l’Open Journal of Astrophysics, les chercheurs de l’Université de Chicago ont décidé d’exploiter ces observations supplémentaires. C’est un peu comme faire les fonds de tiroirs et y découvrir un trésor.

Ce nouveau projet, baptisé DECADE (pour Dark Energy Camera All Data Everywhere), a permis de quasiment doubler le nombre de galaxies dont la forme a été mesurée avec précision. On parle d’un jeu de données étendu qui couvre désormais des milliers de degrés carrés en dehors de l’empreinte originale du DES. Ce qui est fou, c’est que ces images n’étaient pas conçues à la base pour la recherche sur ce qu’on appelle la lentille gravitationnelle faible. Alex Drlica-Wagner, scientifique au Fermilab et professeur associé à l’UChicago, le note avec une certaine franchise : au départ, ce n’était pas gagné. Il n’était pas clair que ces données « d’archive » seraient de qualité suffisante pour une analyse cosmologique robuste. Et pourtant, l’équipe a prouvé que c’était possible.

Mais comment ça marche, concrètement ? Chihway Chang, professeure associée en astronomie et astrophysique, explique que la méthode clé est la lentille gravitationnelle. Imaginez que la lumière provenant de galaxies lointaines doive voyager à travers l’univers pour nous atteindre. En chemin, elle contourne des objets massifs (de la matière, visible ou noire), ce qui courbe sa trajectoire. Résultat : depuis la Terre, la forme de ces galaxies nous apparaît très légèrement déformée, ou « cisaillée ». C’est un effet infime, presque imperceptible à l’œil nu, qui nécessite des analyses statistiques lourdes pour être mesuré.

Résultats et validation du modèle standard

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Pour ce projet titanesque, l’équipe a mesuré les formes de plus de 100 millions de galaxies supplémentaires. Mais la forme ne suffit pas ; il faut aussi connaître la distance. Ils ont donc déterminé de combien la lumière de chaque galaxie s’était décalée vers le rouge (le fameux redshift), ce qui indique à quelle vitesse elle s’éloigne de nous, et par extension, sa distance. Dhayaa Anbajagane, étudiant en doctorat et auteur principal de l’étude, explique que ces mesures de lentilles faibles sont idéales pour sonder le côté « grumeleux » de la matière. C’est un peu comme regarder une ville de nuit pour deviner la topographie du terrain : la répartition de la lumière (la matière) nous renseigne sur la structure sous-jacente.

En utilisant ces formes et ces distances, l’équipe a confronté ses données au modèle cosmologique dominant, le modèle Lambda-CDM (LCDM). C’est le cadre standard qui inclut l’énergie noire, la matière noire, et tout le reste. Et devinez quoi ? Ça colle. L’étude DECADE révèle que la croissance des structures dans l’univers est cohérente avec les prédictions de ce modèle. C’est un soulagement, car ces dernières années, certains craignaient qu’il y ait une « tension », ou une contradiction, entre les mesures de l’univers proche (comme celles de DES) et celles de l’univers primordial issues du fond diffus cosmologique (CMB) – le rayonnement fossile du Big Bang.

Chihway Chang précise : « Avec nos nouveaux résultats, nous pouvons dire que nous ne voyons pas de tension entre la lentille faible et le CMB. » C’est un point crucial qui a alimenté bien des débats scientifiques depuis cinq ans. En combinant les mesures de DECADE avec celles de DES, on obtient une analyse qui porte sur le nombre faramineux de 270 millions de galaxies, couvrant 13 000 degrés carrés de ciel, soit environ un tiers de la voûte céleste. C’est tout simplement la plus large analyse de ce type jamais réalisée à ce jour.

Conclusion : Une méthode audacieuse pour l’avenir

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Ce qui rend ce travail particulièrement humain et intéressant, c’est la débrouillardise dont il témoigne. Comme le souligne Dhayaa Anbajagane, une enquête classique rejette souvent des tonnes d’images si elles ne sont pas parfaites. Ici, le projet DECADE a réutilisé des données d’archives prises pour des objectifs scientifiques très variés – étudier des galaxies naines, des étoiles ou des amas lointains – en acceptant des critères de qualité d’image beaucoup plus permissifs. Et ça a marché ! Cela change complètement la donne pour l’avenir.

Cette réussite ouvre la voie à de futures analyses, notamment celles attendues du prochain Sondage Legacy de l’Espace et du Temps (LSST) de l’Observatoire Vera C. Rubin. Les astronomes savent désormais qu’ils peuvent exploiter des images moins « parfaites » pour obtenir des résultats cosmologiques précis. Ce catalogue massif, publié le 22 octobre 2025, est le fruit d’une collaboration intense entre l’UChicago, le Fermilab, le NCSA, Argonne et bien d’autres. C’est la preuve que parfois, en science comme ailleurs, c’est en regardant ce que les autres ont laissé de côté que l’on fait les plus belles découvertes.

Selon la source : scitechdaily.com

Ce contenu a été créé avec l’aide de l’IA.

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