Ces 5 grandes forêts tropicales qui tiennent le sort de nos oiseaux migrateurs entre leurs feuilles
Auteur: Mathieu Gagnon
Un printemps qui se joue ailleurs

C’est presque un rituel, non ? Chaque printemps, on attend ce moment précis où les chants familiers des Grives des bois et des parulines résonnent à nouveau dans nos parcs et nos jardins de l’est de l’Amérique du Nord. On a tendance à croire que ces oiseaux sont « les nôtres », que leur retour est un événement purement local. Mais en réalité… c’est tout l’inverse. Ces créatures passent la majeure partie de leur vie bien plus au sud, dépendantes de forêts luxuriantes et souvent inaccessibles d’Amérique centrale.
Une nouvelle étude conjointe de la Wildlife Conservation Society (WCS) et du Cornell Lab of Ornithology, publiée le 14 décembre 2025 (basée sur des travaux parus dans Biological Conservation en novembre), vient remettre les pendules à l’heure. Elle identifie ce qu’ils appellent les « Cinq Grandes Forêts » d’Amérique centrale. S’étendant du sud du Mexique jusqu’au nord de la Colombie, ces zones sont littéralement vitales pour des dizaines d’espèces migratrices qui font le lien entre nos deux continents.
En s’appuyant sur des données de distribution hebdomadaires ultra-précises — générées à partir de millions d’observations d’ornithologues amateurs soumises sur la plateforme eBird du Cornell Lab — l’équipe de recherche a découvert quelque chose d’assez stupéfiant. Ces forêts abritent collectivement entre un dixième et près de la moitié des populations mondiales de 40 espèces migratrices. Et malheureusement, beaucoup de ces oiseaux figurent parmi ceux dont le déclin est le plus rapide en Amérique du Nord.
Des chiffres alarmants et une dépendance critique

Anna Lello-Smith, l’auteure principale et scientifique chez WCS, le dit très bien : « Ce qui se passe en Amérique centrale affecte directement les oiseaux que nous aimons aux États-Unis et au Canada ». Ce ne sont pas juste des étendues sauvages tropicales ; elles sont le cœur battant de la migration. Elles fournissent le gîte et le couvert qui permettent à la Grive des bois, à la Paruline à tête cendrée et à tant d’autres de revenir vers le nord pour colorer nos printemps.
Regardons les chiffres de plus près, parce qu’ils sont assez parlants. Plus d’un tiers des Parulines du Kentucky de la planète, et près d’un quart de toutes les Grives des bois et des Parulines à ailes dorées (Vermivora chrysoptera) passent l’hiver tapi au creux de ces forêts. C’est énorme. Plus inquiétant encore, plus de 40 % de la population mondiale de la Paruline azurée — une espèce qui a déjà chuté de plus de 70 % depuis 1970 — transite par ces bois durant sa migration printanière.
Les zones les plus cruciales ? La Selva Maya (qui chevauche le Mexique, le Belize et le Guatemala) et la Moskitia (au Honduras et au Nicaragua). Mais voilà le hic : ce sont aussi les plus menacées. Elles ont perdu un quart de leur superficie au cours des 15 dernières années seulement, principalement ravagées par l’élevage illégal de bétail. C’est un désastre silencieux.
Un pont vivant menacé par la déforestation

Si on met bout à bout la Selva Maya, la Moskitia, l’Indio Maíz-Tortuguero, La Amistad et le Darién, on obtient un corridor écologique à peu près de la taille de la Virginie. C’est vaste, certes, mais fragile. Cette région abrite non seulement nos oiseaux chanteurs, mais aussi des jaguars, des aras rouges, des tapirs… Pour les oiseaux qui parcourent des milliers de kilomètres, ces forêts sont des haltes irremplaçables.
Viviana Ruiz-Gutierrez, directrice des sciences de la conservation au Cornell Lab, explique qu’à chaque automne, des milliards d’oiseaux se déversent vers le sud à travers cet étroit pont terrestre. « La densité de parulines, de moucherolles et de viréos entassés dans ces cinq forêts est stupéfiante », dit-elle. Cela signifie que chaque hectare protégé là-bas sauve un nombre disproportionné d’oiseaux. Mais la vitesse de disparition de ces habitats fait peur. L’élevage illégal a déjà détruit des millions d’acres. Dans la seule Moskitia, près d’un tiers de la forêt a été rasé ces deux dernières décennies.
« Si nous perdons les dernières grandes forêts d’Amérique centrale — et c’est ce qui est en train d’arriver — nous perdons les oiseaux qui définissent nos forêts de l’Est », avertit Jeremy Radachowsky, directeur régional du programme Mésoamérique de WCS. Heureusement, tout n’est pas noir. Sur le terrain, des communautés autochtones et locales se battent. Elles restaurent les terres, luttent contre les incendies et maintiennent des traditions favorables aux oiseaux, comme la production durable de cacao et de piment de la Jamaïque. C’est un travail dangereux, mais essentiel.
Conclusion : Les paysages sœurs et l’appel à l’action

L’étude utilise un concept intéressant, celui des « paysages sœurs ». Grâce aux cadres créés par Partners in Flight, les chercheurs ont pu relier ces cinq grandes forêts à des régions spécifiques du nord : les Appalaches, le delta du Mississippi, les Grands Lacs, la Nouvelle-Angleterre et même les alentours de New York. Ce sont des miroirs écologiques. Les mêmes espèces, comme le Tangara écarlate ou la Petite Buse, habitent ces deux mondes à des moments différents de l’année.
Protéger ces terres d’hivernage, c’est garantir que le cycle continue. Comme le souligne Lello-Smith, chaque hectare sauvé là-bas a des répercussions ici. C’est une invitation à voir au-delà de notre jardin. Si vous aimez observer vos oiseaux au printemps, il faut penser à protéger leur résidence secondaire tropicale.
Référence de l’étude : « Leveraging participatory science data to guide cross-border conservation of migratory birds: A case study from Mesoamerica’s Five Great Forests » par Anna Lello-Smith, Viviana Ruiz-Gutierrez, Amanda D. Rodewald, Matt Strimas-Mackey, Courtney L. Davis, Andrew N. Stillman, Archie Yuchen Jiang, Roan B. McNab, Victor Hugo Ramos et Jeremy Radachowsky, publié le 19 novembre 2025 dans Biological Conservation. (DOI: 10.1016/j.biocon.2025.111551).
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