Une variante de la grippe aviaire résistante à la fièvre pourrait bien alimenter la prochaine pandémie
Auteur: Mathieu Gagnon
Quand la fièvre ne suffit plus à nous protéger

C’est une nouvelle qui fait froid dans le dos, ou peut-être devrais-je dire… chaud ? Des chercheurs ont identifié un gène viral qui permet à la grippe aviaire de résister à la fièvre, lui donnant la capacité de prospérer là où la grippe humaine échoue lamentablement. Cette tolérance à la chaleur augmente considérablement le risque que certaines souches aviaires deviennent bien plus dangereuses si elles finissent par s’adapter à l’homme.
On a tendance à l’oublier, mais la fièvre est l’un des principaux outils de notre corps pour ralentir ou stopper les infections virales. C’est notre défense naturelle. Pourtant, une étude menée par les universités de Cambridge et de Glasgow montre que les souches de grippe aviaire peuvent continuer à se multiplier même lorsque le corps atteint des températures qui, normalement, bloquent net les virus. Publiée dans la revue Science, cette recherche a identifié un gène spécifique qui influence fortement la sensibilité d’un virus grippal à la chaleur. Ce n’est pas anodin : lors des grandes pandémies de 1957 et 1968, ce gène s’était déplacé vers les virus de la grippe humaine, et les souches résultantes s’étaient propagées avec une efficacité redoutable.
Une histoire de température : pourquoi le virus des oiseaux est différent

Pour bien comprendre, il faut regarder comment ces virus fonctionnent. Les virus de la grippe humaine infectent des millions de personnes chaque année, l’influenza A étant la souche saisonnière la plus courante. Ces petits organismes se répliquent le plus efficacement dans nos voies respiratoires supérieures, donc le nez et la gorge, où il fait environ 33 °C. Ils ont beaucoup plus de mal à se multiplier profondément dans les poumons, où la température monte à environ 37 °C.
Si on ne les contrôle pas, ces virus se propagent dans le corps et peuvent causer des maladies graves. C’est là que la fièvre intervient. C’est une réponse protectrice qui peut faire grimper notre température centrale jusqu’à 41 °C. Jusqu’à récemment, on ne savait pas exactement comment la fièvre limitait la croissance virale, ni pourquoi certains virus s’en moquaient éperdument.
La grippe aviaire, elle, joue selon ses propres règles. Ces virus se développent souvent dans les voies respiratoires inférieures et, chez leurs hôtes habituels comme les canards et les goélands, ils infectent fréquemment l’intestin. Or, ces environnements peuvent atteindre des températures de 40 à 42 °C. Des études passées en laboratoire avaient déjà montré que les virus aviaires résistaient bien à la chaleur, mais cette nouvelle recherche utilise des modèles in vivo, avec des souris infectées, pour vraiment comprendre pourquoi notre fièvre pourrait ne pas suffire contre la grippe aviaire.
Le rôle du gène PB1 est crucial ici. L’étude a révélé que ce gène, qui soutient la réplication du génome viral à l’intérieur des cellules infectées, détermine la sensibilité à la température. Les virus dotés d’un gène PB1 de type aviaire ont toléré les températures associées à la fièvre et ont causé des maladies graves chez les souris. C’est inquiétant car les virus de la grippe humaine et aviaire peuvent échanger des gènes lorsqu’ils infectent le même hôte, comme les cochons, au même moment.
L’expérience sur les souris : des résultats sans appel

L’équipe internationale, dirigée par des scientifiques de Cambridge et Glasgow, a recréé des conditions de fièvre chez des souris pour observer la réaction des différentes souches. Ils ont utilisé un virus grippal d’origine humaine adapté au laboratoire, connu sous le nom de PR8, qui n’est pas dangereux pour l’homme. Comme les souris ne font généralement pas de fièvre en réponse aux virus de la grippe A, l’équipe a dû ruser en augmentant la température de leur environnement pour simuler une fièvre.
Les résultats sont clairs. L’augmentation de la température corporelle à des niveaux fébriles a effectivement arrêté la réplication des virus de la grippe d’origine humaine. Mais cette même hausse de température n’a eu aucun effet sur les virus de la grippe aviaire. Pour les souches humaines, il suffisait d’augmenter la température de seulement 2 °C pour transformer ce qui aurait été une infection mortelle en une forme bénigne. C’est une différence énorme.
Le Dr Matt Turnbull, premier auteur de l’étude au Centre de recherche sur les virus du Conseil de la recherche médicale de l’Université de Glasgow, a déclaré : « La capacité des virus à échanger des gènes est une source continue de menace pour les virus grippaux émergents. Nous l’avons déjà vu lors de pandémies précédentes, comme en 1957 et 1968, où un virus humain a échangé son gène PB1 avec celui d’une souche aviaire. Cela pourrait expliquer pourquoi ces pandémies ont causé des maladies graves chez l’homme. » Il ajoute qu’il est crucial de tester la résistance à la fièvre des virus potentiels pour identifier les souches les plus virulentes.
Conclusion : Vigilance et préparation face à un taux de mortalité élevé

Le professeur Sam Wilson, auteur principal de l’Institut d’immunologie thérapeutique et des maladies infectieuses de Cambridge, reste prudent mais réaliste. Il rappelle que, heureusement, les humains ne sont pas infectés par les virus de la grippe aviaire très fréquemment. Cependant, on voit encore des dizaines de cas humains par an. Ce qui est préoccupant, c’est que les taux de mortalité de la grippe aviaire chez l’homme ont toujours été très élevés, comme dans les infections historiques au H5N1 qui ont causé plus de 40 % de mortalité.
Comprendre ce qui rend ces virus si dangereux est crucial pour nos efforts de surveillance et de préparation aux pandémies. Cette étude, référencée sous le titre « Avian-origin influenza A viruses tolerate elevated pyrexic temperatures in mammals » par Matthew L. Turnbull et ses nombreux collègues (dont Yingxue Wang, Simon Clare, et bien d’autres), a été publiée le 27 novembre 2025 dans Science (DOI: 10.1126/science.adq4691). Elle a été financée principalement par le Medical Research Council, avec le soutien du Wellcome Trust, du Biotechnology and Biological Sciences Research Council, du Conseil européen de la recherche, de l’Union européenne Horizon 2020, du ministère britannique de l’Environnement, de l’Alimentation et des Affaires rurales, et du ministère américain de l’Agriculture. Autant dire que le sujet est pris très au sérieux par les instances internationales.
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