Vous possédez peut-être ce super-pouvoir visuel qui révèle un monde invisible
Auteur: Mathieu Gagnon
Une question de perception subjective

On part souvent du principe que ce que je vois est identique à ce que vous voyez. Le ciel est bleu, le soleil est jaune… ça semble évident, non ? Mais en réalité, la couleur est une expérience profondément personnelle, fabriquée de toutes pièces par notre cerveau. C’est assez déroutant quand on y pense, mais il n’y a absolument aucun moyen de prouver que votre « bleu » est le même que le mien. Et tenez-vous bien, la science commence à nous dire que ce n’est probablement pas le cas.
La plupart d’entre nous naviguent dans la vie avec trois types de cellules coniques dans les yeux pour percevoir les couleurs. C’est la norme. Cependant, certaines personnes, et c’est là que ça devient fascinant, naissent avec un quatrième type de cône. Cela leur donnerait accès à des nuances que nous ne pouvons même pas nommer, faute de mots pour les décrire. Imaginez un peu : un monde visuel bien plus riche que le nôtre.
Le souci, c’est de comprendre comment ça marche. Environ 12 % des femmes — et cela monte jusqu’à 50 % chez les femmes caucasiennes — portent sur leur chromosome X un gène capable de produire ce photopigment supplémentaire. Alors que la majorité des gens, les trichromates, voient le rouge, le bleu et le vert, ces femmes, appelées tétrachromates potentielles, en ont un de plus. Mais posséder l’équipement ne suffit pas toujours à s’en servir, c’est toute la nuance.
Le défi scientifique : Avoir le gène ne suffit pas

C’est un véritable casse-tête pour les chercheurs. Comme le dit très justement Jenny Bosten, neuroscientifique visuelle : « Si quelqu’un avait vraiment une vision en quatre dimensions, nous ne pourrions jamais savoir à quoi cela ressemble pour lui ». On ne peut que le déduire en observant s’ils arrivent à distinguer des couleurs qui nous paraissent identiques. En 2010, cette professeure de l’Université du Sussex au Royaume-Uni a décidé de creuser la question.
Son équipe a recruté 24 femmes soupçonnées d’avoir ce variant génétique. Elles ont passé une batterie de tests visuels rigoureux, où on leur montrait des paires de spectres de couleurs conçues pour paraître identiques à nous, les trichromates, mais différentes pour un tétrachromate. C’est un peu le même principe que les tests pour daltoniens, mais inversé. Contre toute attente, la plupart de ces femmes n’ont pas montré de vision améliorée. C’est curieux, non ?
Il y a eu cependant une exception notable. Une participante, identifiée sous le code CDA29, a réussi un sans-faute. Elle détectait systématiquement des différences invisibles pour tous les autres. Sa performance reste à ce jour l’une des preuves les plus solides que la tétrachromatie fonctionnelle existe bel et bien chez l’humain, même si elle semble rare.
Pourquoi ce don reste-t-il souvent endormi ?

Alors, pourquoi tant de femmes ont-elles le gène sans avoir le super-pouvoir ? Jenny Bosten avance une hypothèse technique mais logique : tout dépend de la sensibilité des cônes. Chez une personne normale, les pics de sensibilité sont séparés d’environ 30 nanomètres. Si le quatrième cône de ces femmes se trouve trop près d’un cône existant — à seulement quelques nanomètres par exemple — le cerveau ne fait pas la différence. Il mélange tout, un peu comme si vous ajoutiez une goutte d’eau dans un océan.
L’environnement joue aussi un rôle crucial, un peu comme le souligne Kimberly Jameson, scientifique cognitive à l’Université de Californie. Elle utilise une image parlante : « Mozart était doué pour la musique, mais s’il avait grandi dans une famille d’éleveurs de chèvres, il ne serait peut-être jamais devenu un grand compositeur ». Si le cerveau ne trouve pas d’utilité à ce signal supplémentaire au quotidien, il ne le développe pas. C’est un peu la règle du « utiliser ou perdre ».
Michael Webster, chercheur à l’Université du Nevada, va dans le même sens. Il a montré que notre vision se calibre selon notre milieu : les gens des tropiques perçoivent les verts luxuriants différemment de ceux qui vivent dans des zones arides. Le problème, c’est que notre monde moderne est construit par et pour des trichromates. Nos écrans, nos peintures, nos lumières… tout est basé sur trois couleurs primaires. Un quatrième photopigment pourrait fournir une info que le cerveau choisit simplement d’ignorer. Webster a cette phrase amusante : « Quand vos petits-enfants iront sur Mars, la planète ne leur paraîtra pas rouge… si vous vivez dans un monde rouge, il finit par vous sembler gris ».
Vers de nouvelles couleurs : Keef et Litz

Ceux qui vivent cette expérience racontent des choses incroyables. Pour eux, le blanc devient prismatique, et les ombres sombres recèlent des teintes de lavande et d’or. Là où nous voyons du gris ou du noir, ils perçoivent une mosaïque de couleurs. C’est poétique, certes, mais ce ne sont pour l’instant que des anecdotes.
Pour aller plus loin, Ren Ng, informaticien à l’UC Berkeley, travaille sur un test concret. Mais pour tester des gens qui voient l’invisible, il faut… inventer de nouvelles couleurs ! Au lieu de la roue chromatique habituelle, Ng a modélisé une sphère de couleur en trois dimensions pour capturer cette quatrième dimension visuelle. Il explique qu’orange ne serait plus seulement voisin du jaune et du rouge, mais toucherait aussi le vert foncé et le rose. Une géométrie complètement bouleversée.
En utilisant des données génétiques et physiques, son équipe a même prédit l’existence de deux nouvelles couleurs qu’ils ont baptisées « keef » (en hommage à l’artiste Georgia O’Keeffe) et « litz » (pour le photographe Alfred Stieglitz). Pour vous et moi, ça ressemble à du gris. Pour un tétrachromate, ça devrait sauter aux yeux. Ils ont même conçu une imprimante spéciale utilisant quatre encres : cyan, violet, rose et jaune, au lieu des trois classiques. Si cela fonctionne, nous pourrons peut-être enfin identifier ces personnes qui voient le monde avec une richesse que nous ne pouvons qu’imaginer.
Ce contenu a été créé avec l’aide de l’IA.