Retraite anticipée financée par la pension : les syndicats fédéraux dénoncent un « vol à la limite de la légalité »
Auteur: Adam David
Un programme de retraite anticipée bien intentionné, mais au financement explosif

On se croirait revenu à l’époque où les grandes institutions faisaient un peu ce qu’elles voulaient avec les sous des autres, non ? C’est un peu le sentiment qui circule chez les syndicats fédéraux depuis que le gouvernement a décidé, dans son budget de novembre, de mettre en place une incitation à la retraite anticipée pour ses employés. L’idée de base est de l’ordre de l’humain : éviter de licencier les jeunes employés en augmentant le taux d’attrition, forcé par les coupes budgétaires actuelles. C’est honorable, mais le moyen choisi, lui, crée une énorme vague de colère.
Pourquoi tant d’animosité ? Tout simplement parce que les syndicats accusent le gouvernement fédéral de créer un « dangereux précédent » en finançant cette mesure d’incitation par le biais même du Régime de retraite de la fonction publique. Certains parlent même d’un « vol à la limite de la légalité ». C’est dire l’intensité du désaccord. Pourtant, le programme est en marche : au début du mois, près de 68 000 fonctionnaires susceptibles d’y être admissibles ont commencé à recevoir des lettres détaillant les conditions.
Le gouvernement promet qu’il s’agit d’un plan volontaire qui permet aux travailleurs de prendre leur retraite plus tôt sans subir de pénalité au niveau de leur pension. Mais attention, la participation n’est jamais garantie ! La copie numérique de la lettre, communiquée à La Presse Canadienne, précise que le programme ne sera accessible qu’à certains, selon les conditions très strictes fixées par le Conseil du Trésor. Ces paramètres seraient conçus pour « maintenir les services essentiels et la continuité des activités », ce qui signifie que l’acceptation de la demande d’un employé ne serait absolument pas assurée.
Reste que ce plan, bien qu’annoncé dans le budget, doit encore passer par une loi pour avancer. Le budget indique d’ailleurs que le gouvernement souhaite mettre en œuvre ce programme de retraite anticipée d’un an dès janvier prochain. Il y a urgence, semble-t-il.
La Colère des Syndicats : l’argent des fonctionnaires n’est pas un « revenu discrétionnaire »
Mais c’est justement la manière de payer qui fait grincer des dents et qui suscite des accusations aussi graves que le « vol ». Nathan Prier, président de l’Association canadienne des employés professionnels (ACEP), a beau trouver que protéger les emplois des jeunes, c’est « très bien », il souligne le point sensible : ce sont ces mêmes jeunes travailleurs qui, sur la longueur de leur carrière, vont payer la moitié du coût du programme par le biais de leurs cotisations. Pour lui, c’est simple : « le gouvernement utilise l’argent des fonctionnaires comme s’il s’agissait du sien. »
Sean O’Reilly, président de l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (IPFPC), enfonce le clou, affirmant que le gouvernement est en train de « remplacer en fait les obligations de départ financées par l’employeur par des dispositions de retraite anticipée financées par les employés ». Imaginez la scène ! Pour M. O’Reilly, utiliser les excédents de retraite des travailleurs pour financer leur propre départ, c’est créer un « précédent extraordinaire et dangereux » qui risque de « vider la fonction publique de sa substance au pire moment possible ».
De son côté, Sharon DeSousa, qui dirige l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC), rappelle une chose essentielle : tout programme de départ anticipé doit absolument être négocié avec le syndicat. « Personne ne devrait être contraint de renoncer à des droits durement acquis », dit-elle. L’AFPC fait d’ailleurs pression sur le gouvernement actuellement pour obtenir une rencontre et tous les détails nécessaires pour « évaluer correctement ce que cela signifie pour les travailleurs ».
Le transfert d’excédent et la fuite des talents : les préoccupations des experts

L’inquiétude de l’IPFPC ne concerne pas seulement le nouveau programme. Le syndicat s’alarme également de la récente décision du gouvernement de transférer un excédent d’environ 0,9 milliard du fonds de pension vers son fonds consolidé. Cet argent est mis de côté, avec les excédents transférés l’année dernière, pendant que les prochaines étapes sont examinées.
C’est un peu technique, mais crucial : la Loi sur la pension de la fonction publique stipule qu’il existe un excédent non autorisé lorsque les actifs du régime dépassent 125 % de ses engagements. Le gouvernement doit alors prendre des mesures pour ramener cet excédent en dessous de ce seuil. Sauf que, comme le rappelle M. O’Reilly, le gouvernement ne peut pas utiliser cet argent comme il l’entend. Pour lui, cet excédent est le résultat des « cotisations égales des employés et des employeurs, combinées à de solides performances d’investissement ». Ce n’est pas un « revenu discrétionnaire pour le gouvernement », mais bien de la rémunération différée gagnée par les fonctionnaires.
Parallèlement, les experts académiques sonnent l’alarme concernant les conséquences à long terme du programme. Catherine Connelly, professeure et titulaire d’une chaire de recherche en gestion à l’Université McMaster, qualifie l’incitation de « problématique ». Elle explique que, dès qu’une organisation propose ce genre de mesure, les employés se mettent à hésiter à prendre leur retraite. Ils attendent le bénéfice de l’offre, ou espèrent même qu’une nouvelle incitation plus généreuse leur sera proposée plus tard. Ce qui perturbe le cycle normal des départs : beaucoup partent maintenant, mais moins le feront plus tard.
Mme Connelly souligne qu’il n’est pas rare que ce soient les « meilleurs éléments » qui acceptent l’incitation, prennent leur retraite, puis recommencent à travailler ailleurs, parfois même dans le privé. Et là, on perd gros : « Vous pouvez perdre beaucoup de mémoire institutionnelle importante et de travailleurs qualifiés », avertit-elle.
Sur le plan financier, elle met aussi en garde contre un optimisme excessif. Si les caisses ont des excédents, c’est parce que le marché boursier est « en forte hausse par rapport à l’année dernière ». Or, « ces rendements ne sont probablement que temporaires ». Elle rappelle que la plupart des employeurs du secteur privé n’offrent plus de pensions et insiste sur la volatilité des marchés : les fonds de pension ne devraient être utilisés que pour les pensions, point.
le gouvernement assure gérer l’excédent « conformément à la loi »
Face à toutes ces critiques, le Cabinet du président du Conseil du Trésor se défend. Mohammad Kamal, directeur des communications, affirme sans détour que c’est justement la « solide situation financière » du fonds de pension qui a permis au gouvernement d’élargir l’admissibilité au programme, garantissant aux employés admissibles de prendre leur retraite sans aucune pénalité. Il assure que le nouveau gouvernement canadien est conscient de l’importance de la contribution des fonctionnaires.
Quant à l’excédent controversé, M. Kamal soutient que le gouvernement le gère strictement « conformément à la loi et au cadre qui régit le régime ». Pour lui, cette situation financière est simplement le « signe d’un système de retraite solide qui dépasse les attentes ». Reste à voir si cette assurance suffira à apaiser les craintes des syndicats et des experts. L’enjeu, c’est le respect des droits acquis face à la nécessité de réduire les coûts sans affaiblir les services essentiels. Une loi doit encore passer pour que le programme puisse démarrer en janvier, et les yeux de 68 000 fonctionnaires – et de tous ceux qui cotisent – sont rivés sur ce dossier.
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