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Une athlète intersexe sous le nez d’Adolf Hitler : l’incroyable méprise des JO de 1936
Crédit: Photographe inconnu / Archives fédérales allemandes / Wikimedia Commons

L’obsession aryenne dans l’arène de Berlin

Cérémonie d’ouverture des XIᵉ Jeux olympiques de Berlin (1er août 1936) — photo fournie par le Bundesarchiv (Archives fédérales allemandes), sous licence CC BY-SA 3.0 GermanySource sur Wikimedia Commons

Il faut imaginer l’ambiance, électrique, presque étouffante. Dans l’immense Olympiastadion de Berlin, ce ne sont pas moins de 100 000 personnes qui retiennent leur souffle en ce 1er août 1936. Une forêt de bras se lève, saluant non pas le sport, mais l’homme qui se tient, rigide, dans la tribune officielle. Adolf Hitler est là, droit comme un piquet, observant ce qu’il considère comme sa vitrine. Pour lui, l’adage « l’important, c’est de participer » ? Une vaste blague, probablement. Le chancelier avait déjà annoncé la couleur dans Mein Kampf en 1924 : il rêvait de « millions de corps entraînés » transformés en deux ans en une armée. Rien que ça.

Ces Jeux, c’est la guerre par d’autres moyens. Une guerre de médailles pour prouver, coûte que coûte, la supposée supériorité de la race aryenne. Et au milieu de cette machinerie de propagande, une athlète – ou du moins le croyait-on – s’apprête à défiler. Elle s’appelle Dora Ratjen. Elle a été sélectionnée pour le saut en hauteur féminin, prenant la place de Gretel Bergmann, écartée car juive. Hitler jubile, entouré du comte Henri de Baillet-Latour et de Theodor Lewald, sans se douter une seconde de l’ironie mordante qui se joue sous ses yeux : la championne du Reich est, biologiquement, un homme.

De la déception olympique au record du monde : le parcours de Dora

Hermann Ratjen (connu aussi sous le nom de Dora Ratjen), portrait pris en juillet 1937 lors des Deutsche Leichtathletikmeisterschaften 1937 au stade olympique de Berlin — photo fournie par le Bundesarchiv, sous licence CC BY-SA 3.0 GermanySource sur Wikimedia Commons

Dora est un mystère, une énigme sur pattes pour ses coéquipières. On parle d’une mâchoire carrée, d’une voix qui traîne dans les graves, et surtout, d’une pudeur… disons, excessive. Gretel Bergmann racontera plus tard qu’on se demandait pourquoi Dora ne se montrait jamais nue dans les douches communes. Mais bon, on ne pose pas trop de questions, chacun est dans sa bulle. Le jour J, lors de la finale du saut en hauteur le 9 août 1936, la performance de l’adolescente de 17 ans est, disons-le franchement, décevante. Elle plafonne à 1,58 mètre. C’est l’échec. Elle finit quatrième, au pied du podium, regardant de loin sa compatriote Elfriede Kaun prendre le bronze et, comble pour les nazis, la Hongroise Ibolya Csák, une athlète juive, décrocher l’or.

Malgré tout, le Führer a de quoi sourire à la clôture des jeux le 16 août 1936 : l’Allemagne écrase tout avec 101 médailles dont 38 titres. Dora, elle, retourne à l’entraînement, ruminant sa revanche. Et quelle revanche ! Deux ans plus tard, aux championnats d’Europe à Vienne, le 19 septembre 1938, c’est la consécration. Le journal Le Petit Parisien exulte : « Mlle Dora Ratjen passe 1,70 m et bat le record du monde ». L’ancienne marque de 1,65 m est pulvérisée. C’est un exploit sensationnel. Enfin, pense-t-on, l’Allemagne tient sa championne.

Le train de la vérité : quand le masque tombe

credit : lanature.ca (image IA)

Mais le destin a un sens de l’humour assez cruel. Alors que Dora rentre de Vienne, sa médaille d’or dans les bagages, le train s’arrête. Nous sommes sur le trajet vers Cologne. Un passager, l’œil peut-être trop aiguisé, signale au contrôleur la présence d’un homme déguisé en femme. À l’époque, c’est grave : le travestisme peut vous envoyer direct en camp de détention. La police intervient à Magdebourg. Coincée, Dora doit s’expliquer et lâche cette phrase terrible et simple : « Mes parents m’ont élevée en tant que fille ». Elle admet être un homme. L’examen médical confirme une anatomie « ambiguë », des organes sexuels qui ne laissent plus de place au doute.

La presse, qui l’encensait la veille, fait volte-face. Le 4 octobre 1938, on annonce que le record ne sera pas homologué. Le Petit Journal, dans son édition du 5 octobre 1938, tente une approche presque philosophique, affirmant qu’un homme ne peut triompher chez le « sexe faible », tout en concédant que Dora pourrait devenir un excellent athlète masculin. Un procès s’ouvre. Verdict ? Aucune fraude intentionnelle. Dora, née à domicile, élevée dans des écoles de filles, était simplement dans le flou total sur sa propre identité, une intersexuation découverte tardivement à la puberté et cachée par honte. Ce n’était pas une machination nazie, juste une tragédie humaine.

Conclusion : De Dora à Heinrich, une vie après le sport

credit : lanature.ca (image IA)

Et après ? Le Troisième Reich a-t-il hurlé au scandale ? Étrangement, le rapport officiel a surtout cherché à étouffer l’affaire, annulant le record sans faire de vagues. Pas de complot machiavélique pour voler des médailles, semble-t-il. Dora disparaît, et Heinrich Ratjen apparaît. En mars 1939, l’état civil change. Un journaliste de Paris-Soir raconte le 16 février 1940 que l’ex-championne est devenue soldat dans un régiment d’infanterie à Dresde. Heinrich rejoindra la ligne Siegfried, ses camarades ignorant probablement tout de son passé de recordman… ou recordwoman.

Quant au fameux record du monde, il retombe à 1,65 m avant d’être légitimement battu en mai 1939 par la Britannique Dorothy Odam. Heinrich finira sa vie à Brême, loin des stades. Cette histoire, vite oubliée avec la guerre, préfigurait pourtant les futurs débats sur le genre. Il faudra attendre 1966 et la Guerre froide pour voir arriver les premiers tests de féminité, souvent intrusifs et contestés. Une polémique qui, on le voit bien avec les discussions du CIO pour Los Angeles 2028, est loin, très loin d’être close.

Selon la source : slate.fr

Ce contenu a été créé avec l’aide de l’IA.

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