Les mystérieux « anyons » pourraient bien réécrire les lois de la supraconductivité
Auteur: Mathieu Gagnon
Quand la physique décide de briser ses propres règles

C’est le genre de découverte qui vous fait poser votre café et relire deux fois le titre de l’article. Sérieusement. Jusqu’à tout récemment, on pensait connaître les règles du jeu : la supraconductivité et le magnétisme, c’est comme l’eau et l’huile. Ça ne se mélange pas. Les scientifiques partaient du principe que ces deux états quantiques étaient mutuellement exclusifs ; la présence de l’un devait, théoriquement, détruire l’autre. Point final.
Mais voilà que l’année dernière, tout a basculé. Deux expériences distinctes, menées sur deux matériaux différents, ont capturé exactement le même scénario déroutant : la coexistence pacifique de la supraconductivité et du magnétisme. C’est un peu comme voir un chat et une souris faire une sieste ensemble. Maintenant, des physiciens théoriciens du MIT pensent avoir trouvé le « comment » de cette dualité Jekyll-et-Hyde. Dans un papier publié dans les Proceedings of the National Academy of Sciences, l’équipe propose une hypothèse audacieuse : sous certaines conditions, les électrons d’un matériau magnétique pourraient se fragmenter… oui, se diviser en morceaux d’eux-mêmes pour former des quasiparticules appelées « anyons ».
L’idée est fascinante : dans certaines fractions, ces quasiparticules s’écouleraient ensemble sans aucune friction, un peu comme les électrons classiques s’associent pour circuler dans les supraconducteurs conventionnels. Si ce scénario tient la route — et c’est un gros « si » —, cela introduirait une toute nouvelle forme de supraconductivité. Une forme qui persiste malgré le magnétisme et qui implique un supercourant d’anyons exotiques plutôt que nos bons vieux électrons de tous les jours.
L’impossible coexistence et le retour des « anyons »

Il faut comprendre pourquoi c’est si bizarre. La supraconductivité et le magnétisme sont des états macroscopiques qui naissent du comportement des électrons. Un matériau est magnétique quand les électrons ont grosso modo le même spin, créant une traction collective. À l’inverse, un matériau est supraconducteur quand les électrons se mettent en couple — les fameuses « paires de Cooper » — et glissent sans friction. Pendant des décennies, on pensait que le moindre champ magnétique briserait ces liens fragiles. C’était la norme.
Pourtant, plus tôt cette année, Long Ju du MIT et ses collègues ont découvert cette fameuse coexistence dans du graphène rhomboédrique (un matériau synthétisé fait de quatre ou cinq couches de graphène). Senthil Todadri, professeur de physique au MIT et auteur principal de l’étude actuelle, se souvient avoir vu Ju présenter ses résultats : « C’était électrisant. Ça a mis le feu à la salle. » Peu après, une seconde équipe rapportait des états duaux similaires dans un cristal semi-conducteur, le ditellurure de molybdène (MoTe2). Le plus fou ? Les conditions pour que le MoTe2 devienne supraconducteur sont les mêmes que celles où il exhibe un effet exotique appelé « effet Hall anomal quantique fractionnaire » ou FQAH. C’est là que les électrons se scindent en fractions d’eux-mêmes, les anyons.
Mais au fait, c’est quoi un anyon ? C’est une troisième catégorie de particules, totalement différente des bosons (les grégaires, comme les photons) et des fermions (les solitaires, comme les électrons). Les anyons n’existent que dans un espace bidimensionnel. Prédits dans les années 80, leur nom a été inventé par Frank Wilczek du MIT, comme une blague sur le fait que pour leur comportement, « anything goes » (tout est permis). Des physiciens comme Robert Laughlin (Ph.D. ’79) et Wilczek avaient déjà théorisé que ces quasiparticules pourraient être supraconductrices en présence de magnétisme, mais comme on ne voyait jamais les deux phénomènes ensemble, l’idée avait été un peu… mise au placard.
Surmonter la frustration quantique : une histoire de fractions

Senthil Todadri et son co-auteur, l’étudiant diplômé Zhengyan Darius Shi, ont décidé de dépoussiérer cette vieille théorie. Ils ont utilisé les équations de la théorie quantique des champs pour voir si les anyons pouvaient réellement former un fluide macroscopique unique. Ce n’était pas gagné d’avance, croyez-moi. Les anyons sont connus pour être têtus ; ils résistent au mouvement à cause d’un phénomène purement quantique appelé « frustration ». Même s’ils sont loin les uns des autres, la simple présence d’autres anyons les bloque.
En prenant le MoTe2 comme point de départ — car ce matériau montre l’effet FQAH sans champ magnétique externe, ce qui est crucial —, ils ont modélisé ce qui se passe quand on augmente théoriquement le nombre d’électrons. Ils ont remarqué quelque chose de très précis. Selon la densité d’électrons, deux types d’anyons peuvent se former : ceux avec un tiers de la charge d’un électron, ou ceux avec deux tiers.
Et c’est là que la magie opère. Quand les anyons sont majoritairement de la « saveur » un tiers, ils restent frustrés et on obtient une conduction métallique ordinaire. Banal. Mais… quand ils sont de la « saveur » deux tiers ? Cette fraction spécifique encourage ces anyons, d’habitude si rigides, à bouger collectivement pour former un supraconducteur ! « Ces anyons sortent de leur frustration et peuvent se déplacer sans friction », explique Todadri. C’est un mécanisme totalement différent des paires de Cooper classiques, mais le résultat est le même : le courant passe, sans résistance. C’est fascinant de voir comment la nature trouve toujours un autre chemin.
Conclusion : Vers une nouvelle matière quantique ?

Ce qui est encore plus surprenant, c’est la forme que prend cette supraconductivité. Les calculs de l’équipe montrent que lorsque les anyons supraconducteurs émergent, ils le font dans un motif totalement inédit de supercourants tourbillonnants qui apparaissent spontanément à des endroits aléatoires du matériau. Ce n’est pas du tout ce qu’on voit dans les supraconducteurs classiques. C’est une signature unique que les expérimentateurs vont pouvoir traquer pour confirmer si la théorie tient la route.
Senthil Todadri reste prudent, comme tout bon scientifique : « Beaucoup d’autres expériences sont nécessaires avant de crier victoire. » Mais si l’idée se confirme, cela pourrait ouvrir la voie à la conception de qubits stables — ces bits à l’échelle atomique pour les ordinateurs quantiques — capables de traiter l’information bien plus efficacement. Todadri évoque même l’ouverture d’un nouveau chapitre de la physique avec ce qu’il appelle la « matière quantique anyonique ». Si ces idées théoriques se concrétisent, ce rêve technologique pourrait bien être à portée de main, ou du moins, un tout petit pas plus proche.
Ce contenu a été créé avec l’aide de l’IA.