La migration précoce hors d’Afrique remise en question : Homo erectus n’aurait pas voyagé seul
Auteur: Adam David
L’hypothèse classique confrontée aux nouvelles dents

Imaginez un peu : toute cette histoire qu’on nous raconte depuis des années sur la première grande sortie d’Afrique. On pensait que seule la première espèce à avoir quitté le continent, il y a près de 1,8 million d’années, était notre cher Homo erectus. C’est ce que les scientifiques appellent l’hypothèse « Out of Africa I », à ne surtout pas confondre avec la seconde vague, « Out of Africa II », qui concerne l’arrivée d’Homo sapiens, c’est-à-dire nous, il y a environ 200 000 ans.
Mais, que se passerait-il si Homo erectus n’avait pas été le seul à faire ses valises ? C’est la question que pose une étude récente qui, en se basant sur la dentition des fossiles découverts à Dmanisi, affirme avoir mis au jour des indices vraiment solides de l’existence d’une autre lignée ancestrale distincte. En clair, deux espèces humaines anciennes différentes auraient pu quitter l’Afrique à peu près au même moment au lieu d’une seule. Ces données renforcent, de manière assez spectaculaire, l’hypothèse désormais de plus en plus discutée de l’existence de plusieurs lignées humaines ancestrales africaines qui auraient migré.
L’énigme des cinq crânes de Dmanisi

Le cœur de ce débat se trouve en Géorgie, sur le site paléontologique capital de Dmanisi. C’est là que, dans les années 1990, cinq fossiles d’hominidés datant d’à peu près 1,8 million d’années ont été découverts. Ce sont, tenez-vous bien, quelques-uns des crânes humains les plus anciens jamais mis au jour hors d’Afrique !
Initialement, ces restes ont été classés, un peu par défaut j’ai envie de dire, dans la catégorie Homo erectus. Mais très vite, les paléontologues ont relevé des différences qui ont jeté le trouble. Ces variations suggèrent que plusieurs espèces du genre Homo seraient parties d’Afrique en même temps pour coloniser l’Europe et les autres continents, plutôt qu’une seule petite famille.
Le meilleur exemple, c’est le spécimen numéro 5. Ce crâne, que l’on a beaucoup étudié, est vraiment particulier : il a une petite boîte crânienne, mais un visage massif et proéminent. On a même identifié des similitudes avec les Australopithèques et Homo habilis ! Pourtant, on a maintenu la classification initiale. Certains avançaient que ces différences morphologiques pourraient s’expliquer par un dimorphisme sexuel très marqué au sein d’une seule et même espèce, c’est-à-dire de grandes différences entre les mâles et les femelles. Mais l’étude des crânes, la fameuse craniométrie sur laquelle se basaient ces analyses, n’est peut-être pas la meilleure façon d’identifier une espèce avec certitude.
La dentition : un outil d’identification plus robuste que les os

Face à ces doutes persistants, des chercheurs de l’Université de São Paulo ont proposé une approche différente. Dans une étude publiée récemment dans la revue PLOS ONE, ils ont choisi d’analyser l’émail dentaire, et non plus seulement la forme globale du crâne.
Pourquoi les dents ? C’est simple. L’équipe estime que l’émail dentaire est l’un des matériaux biologiques les plus solides fabriqués par l’organisme des humains et des primates en général. À l’inverse, ils rappellent que les crânes sont bien plus susceptibles de se déformer ou de s’écraser au fil du temps. Les chercheurs notent d’ailleurs que « les évaluations taxonomiques des hominidés géorgiens du Pléistocène se sont principalement concentrées sur des analyses craniométriques, peu d’études abordent la morphologie dentaire par des approches métriques ».
Pour mener à bien cette analyse, les scientifiques ont examiné les dents de trois spécimens de Dmanisi, y compris le controversé spécimen numéro 5. Ils se sont concentrés sur la couronne des dents postérieures (prémolaires et molaires). Pour mettre tout cela en perspective, les données ont été comparées à une base de données impressionnante, comprenant 122 autres spécimens d’hominidés fossiles, incluant des Australopithèques et plusieurs autres espèces du genre Homo. Au total, ce sont pas moins de 583 dents qui ont été analysées à l’aide d’un outil de triage statistique, visant à cartographier si les fossiles appartenaient à une ou plusieurs espèces.
La coexistence de deux espèces contemporaines : Homo caucasi et Homo georgicus
Les résultats sont assez surprenants et vont, il faut le dire, à l’encontre de ce que l’on pensait. Les chercheurs ont conclu que les trois spécimens de Dmanisi analysés n’appartenaient pas à une seule et même espèce. Pour le dire avec leurs mots : « Les affinités morphologiques ont été examinées visuellement […] et les relations taxonomiques ont été testées par des analyses de classification fondées sur les probabilités a posteriori. »
Concrètement, qu’est-ce que cela signifie pour nos ancêtres ? Les caractéristiques dentaires du spécimen numéro 5 sont très proches de celles des Australopithèques. L’équipe propose donc de le classer sous le nom de Homo georgicus. Quant aux deux autres spécimens examinés, ils présentent des traits plus fidèles au genre Homo, et seraient donc à classer sous l’appellation Homo caucasi. C’est clair : deux espèces contemporaines au lieu d’une seule !
Cette analyse de la zone de la couronne dentaire post-canine de Dmanisi « soutient l’hypothèse de la coexistence temporelle d’espèces distinctes sur le site (Homo caucasi et Homo georgicus). Cette possibilité remet en question le modèle dominant de la migration d’Homo erectus hors d’Afrique », comme l’expliquent les chercheurs dans leur article.
Concernant l’hypothèse du dimorphisme sexuel, elle a aussi été réfutée par cette nouvelle étude. En comparant les données dentaires à celles de grands singes actuels, comme les gorilles – où les mâles sont bien plus grands que les femelles –, les scientifiques ont établi que les différences observées sur les dents de Dmanisi sont trop marquées. Elles ne peuvent pas être expliquées par de simples distinctions entre mâles et femelles au sein d’un même groupe. Même si des analyses supplémentaires sur un plus grand nombre de spécimens sont toujours nécessaires pour confirmer tout cela, cette nouvelle piste pourrait bel et bien bouleverser notre compréhension de la chronologie et de la dispersion de nos ancêtres hors d’Afrique.
Ce contenu a été créé avec l’aide de l’IA.