Une théorie qui change notre regard sur la mort

Quand on pense aux momies, on a souvent en tête les pyramides d’Égypte et les pharaons dorés, n’est-ce pas ? Pourtant, bien avant eux, un autre peuple maîtrisait cet art avec une minutie incroyable. Je parle des Chinchorro, ces pêcheurs et artisans habiles qui vivaient sur la côte du désert d’Atacama, au Chili. Récemment, je suis tombé sur une étude fascinante publiée dans le Cambridge Archaeological Journal qui m’a fait voir ces pratiques sous un tout autre jour.
L’auteur, le Dr Bernardo Arriaza, y suggère quelque chose de profondément humain, presque touchant. Selon lui, la momification artificielle chez les Chinchorro n’était pas juste un rituel religieux rigide. Non, cela aurait commencé comme une forme d’art-thérapie. Une façon pour les parents de gérer une douleur insupportable : la perte massive de leurs nourrissons. C’est une idée qui, je trouve, nous rapproche énormément de ces ancêtres lointains.
Un processus complexe né d’une tragédie environnementale

Il faut comprendre le contexte, qui est franchement terrible. Les Chinchorro, connus pour leurs momies artificielles produites environ entre 7000 et 3500 ans avant le présent (BP), vivaient dans un environnement hostile. Surtout dans la vallée de Camarones, où l’on a retrouvé les momies les plus anciennes. Là-bas, l’eau était un poison silencieux. Les habitants étaient exposés à des niveaux d’arsenic tout simplement affolants : environ 1 000 µg/L. Pour vous donner une idée, c’est à peu près 100 fois la limite de sécurité actuelle. Vous imaginez ?
Cette toxicité a eu des conséquences dévastatrices, provoquant de graves problèmes de santé reproductive, des fausses couches fréquentes et une mortalité infantile très élevée. C’est là que le lien se fait. Contrairement aux vallées voisines où l’eau était plus saine, ici, la mort frappait souvent les berceaux. Pour faire face à ce taux de mortalité, la momification est devenue, selon les chercheurs, un exutoire artistique. Une façon de garder les morts – et surtout les enfants – présents symboliquement au sein de la communauté.
Le processus lui-même était d’une complexité qui force le respect. Ce n’était pas fait à la va-vite. Cela commençait par l’extraction des organes internes, parfois même le décharnement du corps… une étape difficile à imaginer aujourd’hui. Ensuite, ils remplissaient les cavités vides avec des fibres, de l’argile et de la terre, puis réassemblaient le tout en utilisant des bâtons pour maintenir la posture. Enfin, les corps étaient recouverts de pâtes à base de manganèse noir et, plus tard, d’ocre rouge, pour recréer les traits du visage et les organes génitaux. C’était un travail de longue haleine, sans doute cathartique.
Le corps comme toile : l’art pour apaiser la douleur

Certains spécialistes ont longtemps débattu pour savoir si cette pratique venait d’ailleurs ou si elle était née sur place. Pour le Dr Arriaza, il ne fait guère de doute que les premières momies artificielles étaient une expression locale du deuil. Il explique avoir réfléchi à ces idées pendant un bon moment – ça ne se pond pas du jour au lendemain, ces théories – et c’est son séjour à Dumbarton Oaks qui lui a permis de creuser le lien entre expression artistique et apaisement de la douleur.
Comme il le dit lui-même : « Le corps transformé est devenu une toile pour exprimer des émotions ». C’est beau, non ? Ces anciens peuples auraient trouvé là une guérison émotionnelle, vénérant leurs disparus comme des icônes visuelles. D’ailleurs, l’idée que ces momies soient des œuvres d’art n’est pas nouvelle ; elles ont même été référencées comme telles dans l’Atlas de l’art mondial. En psychologie moderne, on sait que l’art-thérapie aide à traiter le deuil. Il semble que les Chinchorro l’avaient compris instinctivement des millénaires avant nous.
Le Dr Arriaza souligne un point crucial : dans une si petite société, la mort d’un nouveau-né menaçait la survie même de la famille. Le chagrin parental devait être immense, primordial. Au fil du temps, cette pratique, née probablement pour les enfants, a évolué pour devenir une caractéristique majeure de leurs rites mortuaires, s’étendant finalement à tous les âges et tous les sexes.
L’ironie du sort : quand le rituel empoisonne les vivants

Mais l’histoire prend une tournure assez tragique, presque ironique. Si l’arsenic a peut-être déclenché ce besoin de momification, le rituel lui-même a fini par causer d’autres problèmes de santé majeurs. Les analyses par spectroscopie d’absorption atomique ont révélé que de nombreux individus Chinchorro avaient des concentrations élevées de manganèse. Pourquoi ? À cause de cette fameuse peinture à l’oxyde de manganèse utilisée pour enduire les morts.
Cette exposition chronique a probablement conduit à un syndrome appelé manganisme, qui ressemble un peu à la maladie de Parkinson. Les symptômes font froid dans le dos : hallucinations, comportements compulsifs, douleurs physiques, difficultés à marcher, perte d’expressions faciales avec un regard fixe, et même des rires pathologiques… C’est terrible de penser qu’en voulant honorer leurs morts, ils s’empoisonnaient eux-mêmes.
Il est probable que les Chinchorro aient fini par faire le lien, ce qui expliquerait l’abandon progressif du manganèse noir au profit des momies rouges. Le Dr Arriaza avance d’ailleurs une hypothèse intéressante sur les rôles de genre. Selon lui, les femmes auraient pu diriger la momification durant la période des momies noires (env. 6000–4750 BP) en raison de leur lien profond avec les nourrissons décédés. En revanche, la période des momies rouges (env. 4500–4000 BP), plus axée sur la visibilité et la compétition territoriale, aurait pu être l’œuvre des hommes. C’est une piste à suivre, qui nécessitera sûrement d’autres analyses bioarchéologiques à l’avenir.
Conclusion : Une humanité partagée à travers les millénaires

Au final, cette étude nous rappelle que derrière les artefacts et les restes archéologiques, il y a des émotions humaines brutes qui n’ont pas changé depuis des milliers d’années. La douleur de perdre un enfant, le besoin de faire quelque chose de ses mains pour ne pas sombrer, la recherche de sens face à la mort… tout cela est universel.
Les Chinchorro n’étaient pas seulement des survivants du désert ou des artisans méticuleux ; ils étaient des parents en deuil essayant de trouver du réconfort dans la création. Et c’est peut-être ça, la véritable leçon de ces momies.
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