Imaginez la scène, il y a 86 millions d’années. Un hadrosaure, ce grand dinosaure herbivore au bec de canard, vient de mourir sur la terre ferme. Mais son histoire ne s’arrête pas là. Sa carcasse, gonflée par les gaz de décomposition, a fini par être emportée par les flots, dérivant vers une mer intérieure chaude et grouillante de vie. Un repas inespéré pour les prédateurs qui rodaient sous la surface. Ce sont les fossiles, des messagers silencieux du temps, qui nous racontent aujourd’hui les détails de cet incroyable festin préhistorique.
Une découverte surprenante au cœur du kansas
Tout commence en 2005, grâce à la trouvaille d’un chasseur de fossiles amateur, Keith Ewell. Dans une région de l’ouest du Kansas appelée la formation géologique de Smoky Hill Chalk, il met au jour une série de neuf os de la queue d’un dinosaure. Le lieu a de quoi surprendre ! Car à l’époque du Crétacé, une bonne partie du Kansas était en fait recouverte par une vaste mer. Les dinosaures ne vivaient évidemment pas dans l’eau, mais il arrivait que les inondations charrient leurs dépouilles jusqu’à cet environnement marin.
Dans ces eaux, des reptiles marins géants comme le plésiosaure ou le mosasaure faisaient la loi. Pourtant, les requins préhistoriques n’étaient pas en reste. La preuve ? Des traces de dents très nettes sur les os découverts par Ewell. Pour les paléontologues, c’est une découverte exceptionnelle : non seulement trouver un dinosaure dans ces sédiments marins est **un événement extrêmement rare**, mais c’est surtout l’une des rares preuves directes d’une interaction entre ces deux géants du passé.
L'enquête pour identifier le coupable
Alors, qui était le coupable ? La première piste semblait évidente : une dent dentelée, appartenant à un requin du genre *Squalicorax*, a été trouvée juste à côté des ossements. Facile, pourrait-on penser. Mais en paléontologie, il faut se méfier des conclusions hâtives. Comme le soulignent les chercheurs Michael Everhart et Keith Ewell, ce n’est pas parce que deux fossiles sont proches qu’ils sont liés.
En y regardant de plus près, les marques sur les vertèbres ne correspondaient pas à des dents dentelées. L’enquête s’est donc tournée vers un autre suspect, bien plus impressionnant : le *Cretoxyrhina*. Un véritable monstre des mers d’environ **six mètres de long**. Cette hypothèse est bien plus solide, car d’autres fossiles de la région montrent des marques de morsures similaires, avec parfois même des fragments de dents de *Cretoxyrhina* encore plantés dans l’os. Au moins un de ces super-prédateurs a donc dû se servir sur la carcasse de l’hadrosaure.
Un comportement loin d'être un cas isolé
Et cette découverte est loin d’être un cas unique. En fait, selon le paléontologue Michael Everhart, la plupart des fossiles de dinosaures incomplets trouvés dans cette région du Kansas portent des traces de morsures. On a par exemple le cas d’un *Niobrarasaurus*, un dinosaure cuirassé, dont un membre avant a été littéralement arraché par un *Cretoxyrhina* affamé.
D’ailleurs, des preuves similaires ont été retrouvées ailleurs dans le monde. En Alabama, on a découvert un os de pied de dinosaure vieux de 80 millions d’années avec une dent de *Squalicorax* (cette fois, c’était bien lui !) plantée dedans. Dans le New Jersey, c’est l’os du bras d’un petit hadrosaure qui a été retrouvé sévèrement entaillé. Le constat est donc sans appel : **les requins se nourrissaient bel et bien de dinosaures** quand l’occasion se présentait.
Charognards des mers, pas chasseurs de dinosaures
Cependant, il y a une nuance de taille, et elle est importante. Dans tous les cas que nous venons de voir, rien n’indique que les requins chassaient des dinosaures vivants. Il s’agissait systématiquement d’un acte de **charognage**, c’est-à-dire que les requins se nourrissaient de carcasses déjà mortes qui flottaient en mer.
La raison est simple : les hadrosaures ou les ankylosaures étaient des animaux terrestres. Pour se faire attaquer dans ces mers préhistoriques, ils auraient dû nager sur des dizaines, voire des centaines de kilomètres, ce qui est très peu probable. La seule explication logique est donc que leurs corps sans vie étaient emportés au large, offrant un buffet facile aux prédateurs marins.
une rencontre était-elle tout de même possible ?
Cela ne veut pas pour autant dire qu’un dinosaure vivant n’a jamais croisé un requin. Il faut savoir que d’autres types de requins, aujourd’hui disparus, peuplaient les rivières et les lacs à la même époque. Des dinosaures venaient forcément s’abreuver ou traverser ces points d’eau.
Une attaque directe a-t-elle pu avoir lieu dans ce contexte d’eau douce ? Pour l’instant, aucune preuve formelle ne permet de l’affirmer. Mais l’idée n’est pas à exclure. La question reste donc en suspens, dans l’attente peut-être qu’un jour, un nouveau fossile vienne nous livrer son secret. Seule la découverte d’autres « cartes de visite » dentées laissées par ces prédateurs nous le dira.
Selon la source : nationalgeographic.fr