Guerre des puces : comment le Vietnam est devenu l’improbable refuge des géants de la tech
Auteur: Adam David
Dans la grande guerre commerciale qui oppose Washington et Pékin, il y a des perdants, mais aussi des gagnants inattendus. Le Vietnam, discrètement, est en train de tirer son épingle du jeu, se rêvant en nouvel eldorado des semi-conducteurs. Une position fragile, construite sur les décombres des relations sino-américaines.
Un effet d'aubaine quasi mécanique
Le mécanisme est presque devenu prévisible. Dès que la Maison Blanche brandit la menace de nouveaux droits de douane contre la Chine, les carnets de commandes des entreprises vietnamiennes se remplissent. Ces dernières, spécialisées dans des composants comme les circuits imprimés ou les wafers de silicium, voient la demande affluer de la part de clients cherchant à contourner les taxes américaines.
Le cas de la compagnie Fab-9 est parlant : ses commandes ont bondi de 20 % la semaine même où les taxes sur les importations chinoises ont été annoncées en avril 2025. Un réflexe de survie pour les chaînes d’approvisionnement mondiales, et une véritable aubaine pour l’industrie locale.
Le Vietnam a ses propres cartes à jouer
Mais pourquoi le Vietnam ? Le pays ne profite pas seulement du vide laissé par son voisin chinois. Il a ses propres atouts. D’abord, une main-d’œuvre qualifiée, souvent formée à l’étranger, et surtout bien moins coûteuse que celle de Taïwan ou de la Chine, les deux mastodontes du secteur. On ne part pas de rien.
Conscient de cette opportunité, Hanoï a d’ailleurs dégainé en septembre 2024 une ambitieuse « stratégie nationale des semi-conducteurs ». L’objectif est clair : encourager l’ouverture de plusieurs usines de pointe sur son sol d’ici 2030 et monter en gamme.
Une tendance qui ne date pas d'hier
En réalité, cette dynamique n’est pas entièrement nouvelle. Elle s’est amorcée lors du premier mandat de Donald Trump, entre 2017 et 2021. À l’époque déjà, pour échapper aux premières salves de la guerre commerciale, plusieurs entreprises chinoises avaient fait le choix pragmatique de délocaliser une partie de leur production chez leur voisin vietnamien.
Ce qui n’était alors qu’un filet de sécurité est aujourd’hui devenu un courant bien plus large. Le Vietnam n’est plus seulement une solution de repli, mais un choix stratégique pour de nombreux acteurs de l’électronique.
Le retour de bâton : quand le sauveur devient la cible
Cet âge d’or pourrait cependant être de courte durée. Le boomerang diplomatique est une arme à double tranchant. Après avoir indirectement favorisé l’essor vietnamien, l’administration Trump a désormais le pays dans son viseur, l’accusant de pratiques commerciales déloyales.
Une menace de droits de douane de 46 % a été initialement évoquée, avant d’être apparemment revue à la baisse à 20 %, avec une entrée en vigueur redoutée pour le 1er août. Sans négociations, le Vietnam pourrait voir la porte du marché américain se refermer brutalement. Le prédateur est devenu la proie.
un géant aux pieds d'argile ?
La menace est tout sauf anodine, car bâtir une filière de semi-conducteurs ne s’improvise pas. Les investissements sont colossaux. Pour donner un ordre de grandeur, la construction d’une seule usine, comme celles d’Intel, peut coûter jusqu’à 10 milliards de dollars et prendre entre trois et cinq ans. Une telle industrie a besoin de stabilité, de visibilité à long terme… tout le contraire du climat d’incertitude actuel.
Le Vietnam se retrouve donc sur une ligne de crête. D’un côté, une opportunité historique de s’imposer sur l’échiquier technologique mondial. De l’autre, le risque de voir ses ambitions brisées par la même logique protectionniste qui les a fait naître. L’avenir de cette jeune filière se jouera dans les prochains mois, au gré des tractations entre Hanoï et une administration américaine dont l’imprévisibilité est devenue la marque de fabrique.
Selon la source : geo.fr