Son nom évoque les vacances, sa chair blanche un délice sucré que l’on retrouve dans les jus et les sorbets. Pourtant, le corossol, comme d’autres fruits de sa famille, se retrouve aujourd’hui au cœur d’une inquiétude grandissante dans les Antilles et en Guyane. Des chercheurs guadeloupéens viennent de confirmer ce que l’on suspectait depuis des années : sa consommation régulière pourrait bien être liée à une forme sévère et atypique de la maladie de Parkinson.
Dans le viseur des scientifiques : une toxine naturelle
L’affaire n’est pas nouvelle. Cela fait plus de vingt ans que le CHU de Guadeloupe est sur la piste de ce mal étrange qui frappe particulièrement dans les territoires ultramarins. Le suspect principal porte un nom : l’annonacine. C’est une neurotoxine naturellement présente dans les fruits de la famille des Annonaceae, comme le corossol, mais aussi le cachiman ou la pomme-cannelle (zatte).
Le mécanisme suspecté est insidieux. Consommée de façon répétée, même à petites doses, cette molécule s’accumulerait dans le cerveau, un peu comme un poison lent, jusqu’à endommager de manière irréversible certains neurones. C’est ce processus qui serait à l’origine de ce que les chercheurs ont baptisé le « Parkinson caribéen ».
Un Parkinson "caribéen", plus agressif et plus large
Ce n’est pas tout à fait le Parkinson que l’on connaît, celui qui se manifeste d’abord par des tremblements. Jean-Médard Zola, neurologue au CHU de Guadeloupe et l’un des auteurs de l’étude, décrit une maladie « plus sévère parce que l’on voit qu’il y a des atteintes au niveau de la mémoire, du raisonnement. Globalement, la cognition peut être atteinte ».
En clair, ce n’est pas seulement le corps qui est touché, c’est aussi l’esprit qui vacille. Une forme de la maladie qui brouille les pistes et complique le diagnostic, avec des troubles moteurs, cognitifs mais aussi végétatifs, c’est-à-dire qui affectent les fonctions automatiques du corps.
Quand les chiffres parlent d'eux-mêmes
L’étude met des chiffres alarmants sur cette observation clinique. En Guadeloupe, près de 70 % des cas de Parkinson identifiés relèveraient de cette variante caribéenne. La situation est tout aussi préoccupante en Guyane, où les syndromes parkinsoniens atypiques représentent 41,8 % des cas. Pour la moitié de ces patients, un lien a été établi avec une consommation régulière de ces fruits.
Autre fait troublant mis en lumière par l’étude : en Guyane, les hommes semblent bien plus vulnérables, avec un ratio de trois hommes touchés pour une femme, contre 1,22 aux Antilles. Une disparité qui reste, pour l’heure, inexpliquée.
Entre alerte et prudence : pas question de céder à la panique
Faut-il alors bannir corossol et cachiman de nos assiettes ? Pas si vite. Les chercheurs insistent sur la nécessité de ne pas affoler la population. « Il y a encore du chemin à faire pour pouvoir bien comprendre le processus », tempère le docteur Zola. Le message est clair : il ne s’agit pas d’interdire, mais d’informer et d’appeler à la modération.
La recommandation est donc celle du bon sens : éviter une consommation massive et quotidienne. Une consommation occasionnelle, comme c’est le cas pour de nombreux aliments, ne présenterait vraisemblablement pas de danger. C’est la répétition et l’accumulation qui posent problème.
Un dilemme dans l'assiette
La confirmation de ce lien est une avancée scientifique majeure, mais elle ouvre surtout un dilemme culturel et sanitaire complexe. Ces fruits font partie intégrante du patrimoine culinaire et même de la pharmacopée traditionnelle de ces territoires. On leur prête de nombreuses vertus, parfois à tort.
Comment, dès lors, concilier des traditions bien ancrées et le principe de précaution ? Pour des milliers d’habitants, la question n’est plus seulement médicale. Elle s’invite désormais à table, au cœur du quotidien.
Selon la source : passeportsante.net