Des drones survolent une forêt à Hawaï et larguent de petites capsules. Chacune contient environ 1 000 moustiques. Ça peut paraître fou, un peu comme un film d’horreur, mais la réalité est tout autre. Premièrement, ce sont des moustiques mâles, donc ils ne piquent pas les humains. Deuxièmement, ils ont été élevés en laboratoire pour une mission bien précise.
Le coupable : un moustique venu d'ailleurs
Le problème de fond s’appelle le paludisme aviaire, une maladie mortelle pour les oiseaux locaux, les drépanides hawaïens. Ce sont de petits oiseaux très colorés qui ne vivent que là-bas. Cette maladie est transmise par un moustique envahissant, le moustique-tigre du Sud. Avant 1826, il n’y avait pas de moustiques à Hawaï. Ils sont arrivés avec un baleinier et ont tout changé. Les oiseaux locaux n’avaient aucune défense contre cette nouvelle maladie et ont commencé à disparaître à une vitesse folle. Avant, il y avait plus de 50 espèces de drépanides ; aujourd’hui, il n’en reste que 17.
Plus que des oiseaux, un trésor culturel
Ces oiseaux ne sont pas juste des animaux ; ils font partie intégrante de la culture hawaïenne. Leurs plumes colorées étaient utilisées pour fabriquer des vêtements et des objets traditionnels. La noblesse les portait sur des casques, des couronnes et des capes pour les grandes occasions. De nombreuses histoires, chants et danses traditionnels rendent hommage à leurs couleurs et à leurs chants. Malheureusement, les moustiques ne sont pas leur seule menace. Ils sont aussi victimes de la chasse, d’autres espèces introduites comme les cochons et les rats, et de la destruction de leur habitat.
Un seul moustique peut tuer en neuf jours
La situation est critique. Comme l’explique Chris Warren, coordinateur du programme des oiseaux forestiers au parc national de Haleakalā, le paludisme aviaire est différent pour les oiseaux d’Hawaï. Ailleurs dans le monde, les oiseaux tombent malades et guérissent. « Pas les drépanides hawaïens. Pour eux, le taux de mortalité est d’environ 90 %. Une seule piqûre peut les tuer en neuf jours. » Avec un taux de reproduction lent, ces oiseaux n’ont aucune chance si rien n’est fait.
Le refuge des oiseaux n'est plus sûr
Jusqu’à récemment, les quelques drépanides restants survivaient en se réfugiant en haute altitude, là où l’air était trop froid pour les moustiques. Mais avec le réchauffement climatique, ce refuge n’existe plus. Les températures grimpent et les moustiques colonisent ces nouvelles zones. « L’habitat en haute altitude n’est plus un refuge pour eux », alerte Chris Warren. « Si nous ne combattons pas directement le paludisme aviaire, nous allons les perdre en très peu de temps, à une vitesse stupéfiante. »
Le projet « des oiseaux, pas des moustiques »
Face à l’urgence, plusieurs organisations se sont unies pour créer le projet « Birds, Not Mosquitoes » (Des Oiseaux, Pas des Moustiques). Depuis novembre 2023, elles ont déjà relâché plus de 40 millions de moustiques mâles sur les îles de Maui et Kauaʻi. Si la technique fonctionne, elle sera étendue à d’autres îles. Les drones larguent les capsules qui protègent les insectes jusqu’à ce qu’ils soient prêts à s’envoler, puis les capsules se dégradent naturellement dans le sol.
La méthode : une sorte de « contraception » pour moustiques
L’idée peut sembler contre-intuitive, mais elle est brillante. Ces moustiques mâles élevés en laboratoire portent une bactérie naturelle et inoffensive appelée Wolbachia. Cependant, la souche de cette bactérie est incompatible avec celle des moustiques femelles sauvages. La nature est ainsi faite : quand un mâle porteur de cette souche s’accouple avec une femelle sauvage, les œufs n’éclosent pas. Et comme les femelles moustiques ne s’accouplent qu’une seule fois dans leur vie, cette rencontre unique est stérile. C’est une méthode de contrôle des naissances très ciblée.
Conclusion : une course contre l'extinction
Pour ceux qui espéraient moins de moustiques dans leur jardin, la déception est de mise : les largages ont lieu loin des zones habitées. Mais pour les amoureux de la nature, l’enjeu est immense. Les forêts hawaïennes, autrefois vibrantes de chants d’oiseaux, sont devenues étrangement silencieuses. C’est une bataille pour sauver trois espèces en danger critique : le kiwikiu, l’ʻakekeʻē et l’ʻākohekohe. Comme le dit Chris Warren : « Nous sommes au milieu d’une crise d’extinction. La seule chose plus tragique que l’extinction de ces espèces serait leur extinction sans que nous ayons essayé de l’empêcher. »
Selon la source : smithsonianmag.com