Le pigeon, cet oiseau des villes que l’on chasse souvent du regard… Difficile de l’imaginer trônant à la carte d’un grand repas. Pourtant, il fut un temps où il finissait plus volontiers sur le feu. Une étude menée dans la grotte de la Crouzade, dans l’Aude, révèle que les Néandertaliens en étaient déjà friands il y a plus de 40 000 ans, bien avant nous.
Un régime plus varié qu’on ne le pensait
On a longtemps cantonné Néandertal au rôle de chasseur de gros gibier. Mammouths, rhinocéros, bisons… L’imaginaire collectif est tenace, et cette mégafaune a longtemps éclipsé les proies plus modestes. Quant aux petits animaux, agiles et rapides, on les attribuait plutôt à notre ancêtre direct, Homo sapiens, jugé plus malin, plus outillé pour les attraper.
C’était sans doute aller un peu vite. Cette vision est en train de voler en éclats depuis une vingtaine d’années. De la péninsule Ibérique au Proche-Orient, les découvertes s’accumulent et montrent que Néandertal savait aussi se contenter de lapins, de tortues, de mollusques et, donc, d’oiseaux.
Sur le gril, dans l’Aude
Cap sur le sud de la France, à Gruissan. La grotte de la Crouzade n’est pas un site comme les autres. Creusée dans le massif de la Clape, cette vaste cavité est un véritable mille-feuille temporel, où se superposent des occupations néandertaliennes et celles de sapiens. Ils n’étaient pas les seuls à l’apprécier : ours et hyènes y ont aussi laissé leurs traces.
Les fouilles y ont mis au jour des milliers d’ossements d’oiseaux. Les espèces qui dominent ? Le pigeon biset, l’ancêtre de notre pigeon des villes, mais aussi le chocard à bec jaune et le crave à bec rouge, deux corvidés typiques des falaises. Tous vivaient là, à portée de main, dans les cavités voisines.
L'art de faire parler les os
Mais comment savoir qui a mangé quoi ? C’est là qu’intervient l’analyse minutieuse des os, une sorte de « police scientifique » de la préhistoire. Une grande partie des restes porte la signature de prédateurs non humains, comme le grand-duc ou le renard : des perforations, des traces de digestion… rien que de très classique.
Pourtant, sur une petite fraction des ossements (moins de 2 %), les indices sont différents. Plus rares, mais sans équivoque : ce sont des traces d’activité humaine. Des zones noircies par le feu, localisées aux extrémités des os, trahissent une cuisson sur les braises. Des stries fines, presque invisibles à l’œil nu, témoignent de l’utilisation d’outils en silex pour dépecer les carcasses et récupérer la chair.
Un plat d'appoint, mais significatif
Faut-il pour autant imaginer Néandertal comme un spécialiste de la chasse aux oiseaux ? Probablement pas. Les chercheurs parlent plutôt d’un régime complémentaire, d’une exploitation opportuniste. Pourquoi s’épuiser à traquer un bison quand une colonie de pigeons niche juste à côté ? C’est du bon sens.
Il est même possible que leur rôle soit sous-estimé. Le traitement d’une petite carcasse peut très bien se faire à la main, sans outil, et donc sans laisser la moindre trace pour les archéologues des millénaires plus tard. Ces oiseaux étaient une ressource locale, facile d’accès, que Néandertal a su exploiter intelligemment.
Plus que de la nourriture ?
Mais l’histoire ne s’arrête peut-être pas au contenu de l’assiette. Certaines marques de découpe, notamment sur les os des ailes de corvidés – des parties peu riches en viande – intriguent. Pour les scientifiques, elles pourraient correspondre au détachement des grandes plumes, les rémiges. Une hypothèse fascinante.
Cela ouvre une fenêtre sur un aspect bien moins connu de Néandertal : ses préoccupations symboliques ou esthétiques. On sait déjà, par d’autres sites en Europe, qu’il collectait des serres de rapaces pour en faire des parures. Utilisait-il les plumes pour des ornements, des rituels ? Le mystère reste entier.
portrait-robot d'un cousin réhabilité
Loin du cliché de la brute épaisse obsédée par sa seule survie, chaque nouvelle étude, comme celle de la Crouzade, esquisse le portrait d’un humain bien plus complexe. Un prédateur redoutable, certes, mais aussi un être capable de s’adapter à une multitude d’environnements et de ressources.
Peut-être même un être raffiné, dont la créativité et la culture n’avaient, finalement, pas grand-chose à envier à celles de son cousin et successeur, Homo sapiens. Une image qui continue de se préciser, ossement après ossement.
Selon la source : science-et-vie.com