Alzheimer : de nouvelles initiatives scientifiques relancent la recherche contre la maladie
Auteur: Adam David
C’est un peu l’histoire d’un rendez-vous manqué. Alors qu’un nouveau médicament, le Leqembi, redonnait un peu de souffle à la lutte contre Alzheimer, la France vient de lui claquer la porte au nez, du moins temporairement. La Haute Autorité de santé (HAS) a refusé son accès précoce, une décision qui a jeté un froid chez les associations de patients et les spécialistes.
À quelques jours de la journée mondiale dédiée à cette pathologie, le neurologue Nicolas Villain, de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, nous livre une analyse à la fois prudente et pleine d’espoir sur les avancées de la recherche.
La douche froide française, à rebours de l'Europe
La décision a de quoi surprendre. Le 9 septembre, la HAS a jugé l’efficacité du Leqembi « non cliniquement pertinente » face à un « profil de tolérance préoccupant ». Pourtant, les agences américaine, japonaise, chinoise et même européenne ont donné leur feu vert, estimant que les bénéfices l’emportaient sur les risques. La France fait donc cavalier seul.
« C’est une décision à contre-courant », regrette le docteur Villain, qui y voit une vision « presque paternaliste » de la médecine, privant le patient de son droit de choisir un traitement autorisé ailleurs. Le risque, à terme ? Une médecine à deux vitesses, où un Allemand ou un Autrichien pourrait être traité, mais pas un Français. L’avis de la HAS sur un futur remboursement est désormais attendu avec une certaine anxiété.
Mais au fait, comment fonctionne cette nouvelle molécule ?
Alors, que fait-il, ce fameux Leqembi (ou lécanémab) ? Pour le dire simplement, il vient nettoyer le cerveau. Il s’attaque aux plaques amyloïdes, ces agrégats de protéines qui sont l’une des signatures de la maladie d’Alzheimer. Injecté par intraveineuse à des stades précoces, il a montré sa capacité à réduire ces plaques de plus de 70 %.
Les effets sur les symptômes cognitifs sont qualifiés de « modestes », c’est vrai. Mais Nicolas Villain insiste : « ils fonctionnent mieux que ce dont on dispose à l’heure actuelle ». Surtout, ils semblent avoir un impact sur la qualité de vie des patients et le fardeau ressenti par les aidants, ce qui, au quotidien, est tout sauf négligeable.
Un risque réel mais, pour certains, maîtrisable
Le principal point de friction, ce sont les effets secondaires, les fameuses ARIA : des œdèmes ou des hémorragies cérébrales qui peuvent être graves. La HAS les juge « très fréquents ». Un risque indéniable. Mais le neurologue tempère. D’abord, ces effets disparaissent souvent à l’arrêt du traitement. Ensuite, l’autorisation européenne est déjà très restrictive : elle écarte les patients les plus à risque et impose une surveillance par IRM régulière.
Dans ce cadre très contrôlé, le taux d’événements graves tombe à environ 1 %. Un risque qui, pour le Dr Villain comme pour le régulateur européen, ne fait pas pencher la balance du mauvais côté. La discussion reste ouverte.
Au-delà du Leqembi, la recherche foisonne
Mais la recherche contre Alzheimer ne se résume pas à une seule molécule, loin de là. « La recherche est relancée », assure Nicolas Villain. D’autres fronts sont ouverts. L’un d’eux cible une autre protéine coupable, la protéine tau, qui s’accumule à l’intérieur même des neurones. Une cible plus complexe à atteindre, mais intimement liée aux symptômes.
Une autre piste, assez surprenante, vient du monde du diabète. Le sémaglutide, une molécule connue pour son action sur l’insuline, a montré des effets protecteurs sur le déclin cognitif. Un grand essai clinique est en cours, et les résultats sont attendus pour la fin de l’année. On explore aussi les pistes de l’immunité cérébrale, notamment le rôle des cellules microgliales, les « nettoyeuses » du cerveau.
Des pistes inattendues et pleines de promesses
Parfois, les découvertes les plus intéressantes viennent de là où on les attend le moins. Une étude récente a montré que les personnes vaccinées contre le zona avaient 20 % de risque en moins de développer un trouble neurocognitif. Une autre, menée sur des souris, suggère que le lithium, sous une forme spécifique, pourrait freiner la neurodégénérescence.
Attention, toutefois, ces résultats devront être confirmés chez l’homme. Ce foisonnement de pistes confirme une chose : Alzheimer est une maladie terriblement complexe. Il est donc « improbable qu’une seule molécule en vienne à bout ».
L'arme la plus puissante reste peut-être la prévention
Et si la meilleure arme, pour l’instant, n’était pas dans une seringue mais dans notre mode de vie ? Une commission de la prestigieuse revue *The Lancet* estime que près de la moitié des cas de démence pourraient être évités ou retardés en agissant sur 14 facteurs de risque. La liste est longue : hypertension, tabagisme, sédentarité, diabète, isolement social, mais aussi des éléments plus récents comme le cholestérol ou la baisse de l’acuité visuelle.
Forts de ce constat, l’équipe de la Pitié-Salpêtrière a lancé un projet pilote de consultation de prévention des troubles cognitifs. L’idée est simple : dépister ces facteurs chez les patients et les aider à inverser la tendance avant qu’il ne soit trop tard.
vers un diagnostic plus simple et un futur complexe
L’autre révolution qui se profile est celle du diagnostic. Fini, peut-être, la redoutée ponction lombaire. Des tests sanguins, capables de mesurer les biomarqueurs de la maladie avec une fiabilité de 95 %, sont déjà autorisés aux États-Unis et pourraient bientôt arriver en Europe. Une avancée majeure pour un diagnostic plus précoce et moins invasif.
Mais là encore, la prudence est de mise. « Pas question que tout le monde se teste », prévient le Dr Villain. Ces outils devront être réservés aux personnes présentant déjà des troubles de la mémoire. Entre l’espoir suscité par de nouvelles molécules, la puissance de la prévention et les défis du diagnostic, la route est encore longue, mais elle n’a jamais semblé aussi ouverte.
Selon la source : lemonde.fr