Albert Einstein est sans conteste l’un des plus grands noms de la physique. Ses théories ont révolutionné notre compréhension de l’espace, du temps et de la gravité. Mais Einstein, malgré tout son génie, restait un homme de son temps, avec ses intuitions, ses convictions et… ses erreurs. Il est fascinant de se pencher sur les moments où le grand physicien s’est trompé. Loin de ternir son image, ces ‘erreurs’ révèlent en réalité un penseur prudent, perspicace, et dont les doutes ont souvent ouvert la voie à des débats et des découvertes encore plus profondes, bien des années après sa mort.
1. « Les ondes gravitationnelles sont trop faibles pour être détectées »
C’est l’une de ses erreurs les plus célèbres, car c’est un retournement de situation spectaculaire. En 1916, dans sa théorie de la relativité générale, Einstein a prédit l’existence des ondes gravitationnelles, ces fameuses vagues dans le tissu de l’espace-temps. Mais vingt ans plus tard, en 1936, après de nouveaux calculs avec son collaborateur Nathan Rosen, il change radicalement d’avis. Dans une lettre, il écrit : ‘Je suis arrivé au résultat intéressant que les ondes gravitationnelles n’existent pas’. Après une querelle avec la revue scientifique qui devait publier son article et les corrections d’autres physiciens, il a de nouveau nuancé sa position : elles existent peut-être, mais elles sont beaucoup trop faibles pour qu’on puisse un jour les détecter. En 2015, l’observatoire LIGO les a détectées, prouvant que sa première intuition était la bonne, et sa conclusion, fausse.
2. « L'intrication quantique ne peut pas être réelle »
On dit souvent qu’Einstein ‘détestait’ la physique quantique. C’est faux. Il a contribué à sa naissance, mais il était convaincu que la théorie était ‘incomplète’. Un phénomène en particulier le dérangeait : l’intrication quantique, cette idée que deux particules peuvent être liées de manière mystérieuse, peu importe la distance qui les sépare. Pour lui, c’était une ‘action fantôme à distance’ inacceptable. Soit les particules communiquaient plus vite que la lumière (impossible !), soit il nous manquait une ‘variable cachée’ pour expliquer ce lien. Cette objection, connue sous le nom de paradoxe EPR (1935), a été depuis prouvée comme incompatible avec les expériences. L’intrication est bien réelle, aussi étrange soit-elle.
3. Sa quête d'une théorie unifiée... sans le quantique
Einstein a passé les 30 dernières années de sa vie à poursuivre un rêve : une ‘théorie du tout’ qui unifierait toutes les forces de la nature. Il voulait en particulier combiner la gravité et l’électromagnétisme en une seule et même théorie. Mais il avait une condition non négociable : le faire sans utiliser la physique quantique, qu’il considérait comme une théorie provisoire et incomplète. ‘Je dois ressembler à une autruche qui enterre sa tête dans le sable relativiste pour ne pas affronter les méchants quanta’, plaisantait-il dans une lettre de 1954. Sa quête a échoué. Mais en faisant de l’unification un but ultime, il a lancé ce que l’on appelle aujourd’hui le ‘Saint Graal’ de la physique moderne.
4. « L'univers est statique et immuable »
C’est peut-être l’ironie la plus savoureuse de l’histoire de la physique. Au début du XXe siècle, Einstein, comme la plupart des scientifiques, croyait que l’univers était statique, qu’il n’était ni en expansion ni en contraction. Pour que ses équations de la relativité générale collent à cette idée, il y a ajouté un ‘bidouillage mathématique’, un terme qu’il a appelé la constante cosmologique. Plus tard, quand l’astronome Edwin Hubble a prouvé que l’univers était en expansion, Einstein a renié sa constante, la qualifiant de ‘plus grande gaffe’ de sa vie. Le coup de théâtre ? Dans les années 1990, les scientifiques ont ressorti cette ‘gaffe’ du placard pour expliquer l’accélération de l’expansion de l’univers, en la rebaptisant… énergie sombre !
5. « Les trous noirs ne peuvent pas exister dans la nature »
C’est un autre paradoxe fascinant. La propre théorie d’Einstein prédisait l’existence des trous noirs. Mais lui-même était contre cette idée ! Pourquoi ? Parce que la théorie impliquait l’existence d’une ‘singularité’, un point de densité infinie où les lois de la physique et les belles mathématiques de sa théorie s’effondrent. Pour lui, c’était un ‘malheur inimaginable pour la théorie’. Il a même publié un article en 1939 pour tenter de prouver qu’ils ne pouvaient pas se former. Bien sûr, aujourd’hui, les preuves de leur existence sont accablantes, avec en point d’orgue la fameuse ‘photo’ du trou noir M87* prise par le Event Horizon Telescope. Que penserait-il aujourd’hui ? Comme le dit l’historien des sciences John D. Norton, ‘Prédire ce qu’Einstein ferait est bien plus difficile. Il était Einstein !’
6. « Dieu ne joue pas aux dés »
Cette célèbre citation n’est pas une erreur en soi, mais elle résume parfaitement la philosophie qui sous-tend toutes ses autres « erreurs ». Einstein ne rejetait pas l’indéterminisme de la physique quantique par simple caprice. Il était profondément convaincu qu’il existait une réalité plus profonde, un ordre caché que nous n’avions pas encore découvert. Pour lui, le hasard n’était qu’une illusion, le reflet de notre ignorance des vraies lois de la nature. Il croyait en un univers déterministe et élégant, comme sa théorie de la relativité générale. Il n’a jamais pu le prouver, et la physique quantique a continué de triompher, mais cette quête d’un ordre sous-jacent continue d’inspirer des générations de physiciens.
Conclusion : des 'erreurs' plus fertiles que bien des certitudes
Au final, se pencher sur les ‘erreurs’ d’Einstein, c’est comprendre ce qui faisait de lui un génie. Ce n’étaient pas des fautes d’inattention, mais des positions fortes, basées sur une intuition profonde de la manière dont l’univers ‘devrait’ fonctionner. Son scepticisme, sa résistance, même face à ses propres prédictions, ont provoqué certains des débats les plus riches et les plus stimulants de l’histoire de la science, des débats qui se poursuivent encore aujourd’hui. Ces moments de doute ne le diminuent pas, au contraire, ils nous le rendent plus humain et son parcours, encore plus admirable.
Selon la source : nature.com