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Le trou noir de la mémoire : comment le cerveau efface les traumatismes pour survivre

Auteur: Adam David

2025-10-22 10:02:09

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Crédit: freepik

Face à une violence inouïe, qu’il s’agisse d’un viol, d’une agression ou d’une scène de guerre, certaines victimes racontent un vide. Un « trou noir » à la place du souvenir. Loin d’être un simple oubli, ce mécanisme est une stratégie de survie orchestrée par notre cerveau pour nous protéger d’un effondrement psychique total. C’est ce qu’on appelle l’amnésie traumatique.

Un mécanisme de sauvegarde longtemps controversé

L’idée même d’une mémoire qui s’efface pour nous protéger a longtemps été débattue. Pourtant, ce phénomène est aujourd’hui bien identifié comme un mécanisme dissociatif. En somme, quand la menace est trop grande, le cerveau se déconnecte pour ne plus sentir. On observait déjà ce phénomène chez les soldats revenus amnésiques des tranchées des guerres mondiales. Aujourd’hui, il est particulièrement documenté chez les victimes de violences sexuelles : on estime que jusqu’à 40 % d’entre elles présentent une amnésie complète des faits, et 60 % une amnésie partielle, surtout lorsque les abus ont eu lieu dans l’enfance.

Que se passe-t-il vraiment dans le cerveau ?

Imaginez un court-circuit électrique. Lors d’un traumatisme, c’est un peu ce qui se produit. Le circuit émotionnel, qui inclut l’amygdale et l’hippocampe, est littéralement submergé par le stress. C’est la sidération. Pour éviter une sorte de « survoltage » mortel dû à l’adrénaline et au cortisol, le cerveau libère ses propres anesthésiants, des substances proches de la morphine et de la kétamine. Elles anesthésient la douleur, mais coupent aussi l’enregistrement du souvenir. « Le cerveau fait disjoncter le circuit émotionnel pour sauver la vie, mais au prix d’un effacement du souvenir », résume la psychiatre Muriel Salmona. L’événement n’est pas traité, il reste coincé dans la mémoire émotionnelle, inaccessible à la conscience.

Quand la mémoire revient par effraction

La levée de l’amnésie est rarement un processus doux. Elle peut survenir des années, voire des décennies plus tard, souvent déclenchée par un détail anodin. Les souvenirs ne reviennent pas de façon linéaire, mais par éclats : des flashs, des cauchemars, des sensations physiques inexplicables. Cette résurgence est d’une violence inouïe, plongeant la personne dans la confusion et la panique. « Je ne sais plus si c’est vrai ou si j’ai rêvé », confie une patiente à la psychologue Julie Francols. Ce retour s’accompagne d’une détresse immense, où le sentiment de devenir fou n’est jamais loin. Une prise en charge spécialisée devient alors vitale.

Une blessure psychique officiellement reconnue

Ce n’est pas une invention ni une faiblesse. L’amnésie traumatique est inscrite noir sur blanc dans le DSM-5, la bible des troubles psychiatriques, comme un des symptômes possibles du trouble de stress post-traumatique (TSPT). Elle y est définie comme une « incapacité de se souvenir d’éléments importants de l’événement », une amnésie dissociative. Cela confirme que le traumatisme n’a pas disparu : il a été mis à l’écart, stocké hors de portée de la conscience, prêt à resurgir. C’est une blessure neuropsychique, au même titre que l’hypervigilance ou les conduites d’évitement qui empoisonnent le quotidien des victimes.

Conclusion : reconstruire après le trou noir

Sortir de l’amnésie n’est pas une fin en soi, mais le début d’un chemin douloureux de reconnexion. Des thérapies spécialisées comme l’EMDR ou l’hypnose sont nécessaires pour aider à réintégrer le souvenir sans danger. Mais au-delà de l’accompagnement individuel, la reconnaissance de ce mécanisme est un enjeu de société majeur, notamment sur le plan judiciaire. Comment la justice peut-elle s’adapter à une mémoire qui ne se révèle que 20 ou 30 ans après les faits, bien après les délais de prescription ? Comme le souligne Amandine Servais, spécialiste en victimologie, « comprendre ce mécanisme, c’est mieux accompagner la victime, sans remettre en cause la véracité de sa parole ». Un défi immense pour permettre enfin une réparation.

Selon la source : passeportsante.net