Le médicament anti-douleur le plus populaire au monde pourrait inciter à des comportements à risque
Auteur: Simon Kabbaj
C’est probablement le médicament le plus courant dans nos armoires à pharmacie. Pour un mal de tête, une fièvre, une petite douleur… on a tous le réflexe de prendre un comprimé de paracétamol (vendu sous les noms de Tylenol, Panadol, Doliprane, etc.). Mais une étude fascinante de 2020 suggère que ce geste anodin pourrait avoir un effet bien plus surprenant que de simplement soulager la douleur : il pourrait nous rendre plus enclins à prendre des risques. Ce médicament pourrait, en quelque sorte, ‘anesthésier’ notre peur du danger.
L'expérience du ballon : comment les scientifiques l'ont découvert
Comment peut-on tester une idée aussi étrange ? Des chercheurs de l’Université d’État de l’Ohio ont mené une expérience ingénieuse. Ils ont réuni plus de 500 étudiants et ont donné à la moitié d’entre eux une dose de 1 000 mg de paracétamol, et à l’autre moitié un placebo. Ensuite, ils les ont mis devant un jeu sur ordinateur : gonfler un ballon virtuel. Chaque coup de pompe rapportait de l’argent fictif, mais si le ballon éclatait, ils perdaient tout. Le résultat a été sans appel : le groupe qui avait pris du paracétamol a pris beaucoup plus de risques. Ils ont gonflé leurs ballons bien plus que le groupe de contrôle, et les ont fait éclater plus souvent. ‘Pour ceux qui sont sous paracétamol, à mesure que le ballon grossit, nous pensons qu’ils ont moins d’anxiété et d’émotions négatives quant à la possibilité qu’il éclate’, explique Baldwin Way, le neuroscientifique qui a dirigé l’étude.
Pourquoi ça marche ? L'anesthésie des émotions négatives
L’hypothèse des chercheurs n’est pas que le paracétamol nous donne soudainement envie de sauter en parachute. C’est plus subtil. Il semblerait qu’il émousse notre perception des émotions négatives. La peur, l’anxiété, l’appréhension… tout est un peu atténué. Dans l’expérience du ballon, le groupe placebo ressent une anxiété grandissante à mesure que le ballon gonfle, ce qui les pousse à s’arrêter. Le groupe sous paracétamol, lui, ressent moins cette anxiété et continue donc de prendre des risques. ‘Le paracétamol semble faire en sorte que les gens ressentent moins d’émotions négatives lorsqu’ils envisagent des activités à risque – ils n’ont tout simplement pas aussi peur’, résume Baldwin Way.
Un effet qui va au-delà du risque : l'empathie aussi est touchée
Cette découverte s’inscrit dans un champ de recherche plus large qui montre que le paracétamol a des effets surprenants sur notre psychologie. D’autres études ont suggéré qu’il pouvait réduire notre capacité à ressentir les sentiments blessés, diminuer notre empathie pour la douleur des autres, et même atténuer nos fonctions cognitives. Une étude de l’Université de Vienne, publiée en 2023, a trouvé une association entre une ‘consommation libérale d’analgésiques’ et une réduction de l’empathie et des comportements pro-sociaux. Le paracétamol ne soulagerait donc pas que la douleur physique, mais aussi, dans une certaine mesure, la ‘douleur’ émotionnelle.
Conclusion : faut-il jeter son paracétamol à la poubelle ?
Alors, faut-il paniquer ? Absolument pas. Les chercheurs eux-mêmes soulignent que les effets observés sont ‘légers’. De plus, le paracétamol reste l’un des médicaments les plus importants au monde, considéré comme un médicament essentiel par l’Organisation Mondiale de la Santé. Cette étude n’est pas un appel à arrêter de le prendre. C’est plutôt un rappel fascinant que même les médicaments les plus courants et les plus banals peuvent avoir des effets complexes et inattendus sur notre cerveau et notre comportement. Comme le dit Baldwin Way, ‘nous avons vraiment besoin de plus de recherches sur les effets du paracétamol et des autres médicaments en vente libre sur les choix et les risques que nous prenons’.
Selon la source : academic.oup.com