En cherchant l’épave de l’Endurance, des scientifiques découvrent une cité de poissons cachée sous la glace
Auteur: Simon Kabbaj
Introduction : le trésor inattendu des profondeurs de l’Antarctique
Parfois, on part à la recherche d’un trésor et on en trouve un autre, totalement inattendu. C’est exactement ce qui est arrivé à une équipe de scientifiques en Antarctique. Alors qu’ils étaient sur les traces du légendaire navire de l’explorateur Ernest Shackleton, l’Endurance, ils sont tombés sur une découverte absolument stupéfiante. Au lieu d’une épave, ils ont trouvé une véritable ‘cité de poissons’, un quartier résidentiel sous-marin parfaitement organisé, s’étendant à perte de vue dans les profondeurs glaciales. Une découverte qui pourrait changer notre vision de la vie dans les environnements les plus extrêmes de la planète.
Une « ville » de plus de 1000 nids parfaitement alignés

La découverte a été faite dans la mer de Weddell, à l’ouest de l’Antarctique, grâce à un véhicule sous-marin téléguidé (ROV). Les images renvoyées par le robot étaient surréalistes : plus de 1 000 nids circulaires, des sortes de berceaux parfaitement ronds creusés dans le sable, formant un immense quartier géométrique. Les architectes de cette cité sous-marine sont une espèce de poisson-glace connue sous le nom de ‘yellowfin notie’ (ou notothenia à nageoires jaunes). Fait remarquable, alors que le fond marin environnant était couvert de débris de plancton, chaque nid était impeccablement propre, comme si ses habitants y passaient l’aspirateur !
Un mélange de coopération et d’égoïsme
Cette organisation n’a rien d’un hasard. Dans une étude publiée dans la revue Frontiers in Marine Science, les chercheurs expliquent que cette communauté de poissons est un mélange fascinant de coopération et d’intérêt personnel. La plupart des nids étaient regroupés, ce qui illustre la théorie du « troupeau égoïste » : les individus au centre du groupe sont mieux protégés des prédateurs que ceux qui sont en périphérie. C’est une forme de protection collective. Cependant, les chercheurs ont aussi trouvé des nids isolés. Leur hypothèse ? Ces nids appartenaient probablement à des poissons plus gros et plus forts, capables de défendre leur progéniture tout seuls, sans avoir besoin de la protection du groupe.
Un échec heureux sur les traces de l’Endurance
Ironiquement, cette découverte n’aurait jamais eu lieu si la mission initiale avait réussi. L’expédition, menée en 2019, avait pour but principal de retrouver l’épave de l’Endurance, le navire de Shackleton broyé par les glaces en 1915. Mais les mêmes conditions polaires extrêmes qui ont eu raison du navire il y a plus d’un siècle ont empêché l’équipe de 2019 de le localiser (l’épave sera finalement trouvée en 2022). Cet échec les a poussés à explorer d’autres zones, les menant droit à cette incroyable cité de poissons.
Dans le sillage d’un iceberg géant

Comment cette zone a-t-elle pu être explorée ? C’est grâce à un événement climatique majeur. Les nids ont été découverts dans une zone qui était, jusqu’à très récemment, recouverte par une immense barrière de glace flottante de 200 mètres d’épaisseur, la plateforme de glace Larsen C. Mais en 2017, un morceau gigantesque de cette plateforme s’est détaché, créant l’un des plus grands icebergs jamais vus, l’iceberg A68, grand comme un département français. Cette rupture a libéré l’accès à des zones du fond marin qui étaient inaccessibles depuis des millénaires, offrant aux scientifiques une occasion unique de les explorer.
Pourquoi cette « cité de poissons » est-elle si importante ?

Cette découverte n’est pas qu’une simple curiosité. Elle prouve que cette zone, que l’on croyait peut-être vide de vie sous la glace, abrite en réalité un écosystème unique, complexe et vulnérable. Elle apporte un argument de poids à la proposition de désigner officiellement la mer de Weddell comme une Aire Marine Protégée (AMP). La création d’une telle zone de protection permettrait de préserver cette biodiversité exceptionnelle des menaces futures, comme la pêche industrielle ou le tourisme de masse. C’est une course contre la montre pour protéger ces merveilles avant qu’il ne soit trop tard.
Au final, cette histoire est un magnifique rappel que la vie est tenace et qu’elle trouve toujours un chemin, même dans les endroits les plus inhospitaliers de notre planète. En partant à la recherche d’une tragédie humaine passée, ces scientifiques ont découvert une célébration de la vie, un écosystème vibrant qui prospérait en secret sous des centaines de mètres de glace. C’est une leçon d’humilité et un appel urgent à protéger ces derniers sanctuaires sauvages avant que nous ne les détruisions, souvent sans même savoir qu’ils existent.