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L’épidémie oubliée qui a forgé l’Europe il y a 5000 ans
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L’ennemi invisible de la préhistoire

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On raconte souvent l’histoire de l’humanité par ses guerres, ses migrations et ses inventions. Pourtant, une force bien plus ancienne et silencieuse a profondément modelé nos sociétés : les épidémies. Grâce à la génétique, des chercheurs lèvent aujourd’hui le voile sur des pandémies préhistoriques qui ont décimé des populations et redessiné le destin de l’Europe, bien avant l’écriture.

La peste cachée dans nos dents

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Tout a basculé dans les laboratoires de l’université de Copenhague. En analysant l’ADN de plus de 1300 individus anciens, l’équipe du généticien Martin Sikora a eu une surprise de taille. Des traces de Yersinia pestis, le bacille de la peste, dormaient dans l’émail de dents vieilles de plus de 5000 ans. Ces souches, bien plus anciennes que la peste noire médiévale, circulaient déjà en Eurasie à la fin du Néolithique et à l’âge du Bronze.

Le tableau qui se dessine est celui d’une maladie endémique, présente bien avant les grandes cités ou l’agriculture intensive que l’on pensait être ses berceaux. Une histoire qui commence bien plus tôt qu’on ne l’imaginait.

Un tueur qui n’avait pas besoin des puces

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Cette peste préhistorique n’était pas tout à fait la même que celle qui a terrorisé le Moyen Âge. Il lui manquait un gène clé, le gène ymt, qui permet à la bactérie de survivre dans l’intestin des puces et donc d’utiliser les rats comme vecteurs. Sa transmission était probablement respiratoire, de personne à personne, la rendant peut-être encore plus foudroyante.

La preuve la plus déroutante vient des rives du lac Baïkal. Là, des chercheurs ont trouvé des traces du pathogène dans des cimetières de chasseurs-cueilleurs, avec des taux d’infection frôlant les 40%. Des familles entières fauchées ensemble, loin des animaux domestiques et de la promiscuité des villes. Le mythe de l’épidémie comme seule conséquence de la sédentarisation s’effondre.

Quand les os racontent l’hécatombe

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Les indices génétiques sont corroborés par ce que les archéologues sortent de terre. En Grande-Bretagne, trois squelettes datés de 4000 ans ont été testés positifs. L’un reposait seul sous un tumulus, mais les deux autres ont été retrouvés dans une fosse commune, au milieu d’ossements désarticulés. Une scène qui suggère un drame soudain, une gestion de crise face à une mortalité galopante.

Cette période coïncide avec l’arrivée en Europe de l’Ouest des Yamnayas, des pasteurs venus des steppes eurasiennes. On a longtemps pensé qu’ils avaient importé la maladie. C’est en partie vrai, car leur mode de vie et leurs troupeaux ont favorisé la circulation de nouveaux microbes. Mais le puzzle est plus complexe : la peste était déjà là, attendant son heure. En Écosse et en Suède, des cas ont été identifiés chez des agriculteurs locaux, sans aucun lien génétique avec les nouveaux arrivants.

Le grand déclin : l’Europe à genoux

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Ce que les génomes révèlent, c’est une pression de sélection énorme. Une étude portant sur près de 3000 génomes anciens montre que la majorité de nos adaptations immunitaires sont apparues il y a environ 4500 ans. Notre corps a dû apprendre, et vite, à se défendre contre ces nouveaux ennemis.

Cet arsenal génétique s’est forgé sur un champ de ruines. Entre 5500 et 4500 ans, l’Europe de l’Ouest a connu un effondrement démographique brutal, le « déclin néolithique ». Les terres agricoles ont été abandonnées, les forêts ont regagné du terrain. Longtemps attribué à des crises climatiques ou alimentaires, ce recul massif pourrait bien avoir été déclenché, ou du moins aggravé, par une succession de pandémies. La peste, mais sans doute aussi d’autres maladies, a mis le continent à genoux.

Notre héritage immunitaire, un pacte à double tranchant

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Nous sommes les descendants des survivants. Mais cette survie a eu un coût. Les mutations génétiques qui nous ont protégés de la peste et d’autres infections préhistoriques ont un revers de médaille. Aujourd’hui, ces mêmes gènes sont impliqués dans l’augmentation des risques de maladies auto-immunes, comme le diabète de type 1, la sclérose en plaques ou la maladie de Crohn.

C’est un héritage paradoxal. Pour survivre aux fléaux d’hier, notre système immunitaire est devenu plus agressif. Un peu trop, parfois, au point de se retourner contre notre propre corps dans le monde moderne. L’écho de ces épidémies millénaires résonne encore dans notre biologie.

Conclusion : une histoire réécrite par le microbe

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La peste n’a donc pas seulement tué ; elle a refondé. Elle a contribué à l’effondrement de sociétés entières et a probablement favorisé l’émergence de nouvelles structures sociales, peut-être plus hiérarchisées et guerrières. En vidant des territoires, elle a ouvert la voie à des migrations et à des reconfigurations culturelles profondes.

En replaçant le microbe au cœur de l’équation, c’est toute notre vision de la fin de la préhistoire qui est amenée à changer. L’histoire de l’Europe n’est pas seulement celle des hommes, mais aussi celle de leur longue, et parfois terrible, cohabitation avec le monde invisible des pathogènes.

Selon la source : science-et-vie.com

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