Comment de simples lichens ont préparé le terrain pour les premières forêts du monde
Auteur: Mathieu Gagnon
On s’imagine souvent que les premières formes de vie à conquérir la terre ferme étaient de grandes plantes, des fougères géantes peut-être. Eh bien, il faut revoir cette image. La vie sur terre n’a pas commencé avec les arbres. Une découverte fascinante au sud du Brésil nous le prouve : un fossile vieux de 410 millions d’années montre que les lichens étaient déjà bien installés, bien avant que les premières véritables forêts ne prennent racine.
Une étude récente a enfin mis un nom sur cet organisme de l’ère dévonienne : Spongiophyton. Et ce n’est pas n’importe quoi, c’est un véritable lichen, ce partenariat vivant entre un champignon et une algue que l’on connaît encore aujourd’hui.
Un partenariat gravé dans la pierre
Pour en arriver à cette conclusion, les scientifiques ont dû jouer les détectives. Ils ont utilisé des technologies de pointe pour cartographier l’intérieur du fossile en trois dimensions. Et qu’ont-ils trouvé ? Des filaments internes et des cellules dont la disposition ressemble à s’y méprendre à celle des lichens modernes. C’est assez incroyable, non ?
À l’intérieur de ce qu’on appelle le thalle (le corps de l’organisme, pour simplifier), on voit des hyphes, ces minces filaments de champignon, qui s’entrelacent. Juste à côté, des grappes de cellules d’algues bien rondes. C’est la signature classique de cette alliance champignon-algue. En plus, des analyses chimiques ont révélé des traces qui correspondent parfaitement à ce qu’on trouve dans les lichens actuels.
Les premiers bâtisseurs de nos sols
Ces petits organismes n’étaient pas juste là pour faire joli. Ils avaient un rôle capital. Les lichens sont de véritables pionniers. Ils aident la roche à s’effriter et créent les toutes premières couches de sol. Un travail de longue haleine ! Ils piègent la poussière, libèrent des nutriments essentiels et construisent une base solide que les racines des plantes pourront plus tard exploiter.
On estime que ces tapis de lichens, d’algues et de mousses, qu’on appelle des « couvertures cryptogamiques », fixent environ 7% de la production végétale terrestre. Ça peut sembler peu, mais à l’échelle d’un environnement local, c’est énorme. C’est ce qui peut faire basculer un paysage aride vers un écosystème stable et fertile. Ces fossiles nous montrent que bien avant l’arrivée des grandes plantes, des communautés capables de résister au stress façonnaient déjà nos paysages.
L'enquête scientifique pour percer le mystère
Le fossile de Spongiophyton est une petite merveille de conservation. Il est comme momifié, une sorte de film organique où les structures minuscules sont encore visibles. Pour regarder à l’intérieur sans l’abîmer, les chercheurs ont utilisé un outil exceptionnel : le synchrotron. C’est une sorte d’accélérateur de particules qui produit des rayons X extrêmement puissants, permettant de scanner des objets à une échelle incroyablement fine.
Grâce à cela, ils ont vu des cristaux de calcite formés près de la surface et le long des filaments. Ce processus, où un organisme fabrique des minéraux, est très courant chez les lichens. Et puis, il y a la chimie. Les tests ont révélé beaucoup de composés azotés, notamment des molécules qui apparaissent quand la chitine se dégrade. La chitine, c’est ce qui compose la paroi des cellules des champignons. C’est une preuve solide, car on ne trouve pas ça dans les plantes ou les algues seules.
Un monde avant les forêts
Le fait qu’on retrouve des fossiles de Spongiophyton dans plusieurs couches de roches et à différents endroits montre bien qu’ils étaient écologiquement importants, juste avant que les forêts complexes ne se développent. Ces lichens semblaient prospérer dans les régions froides de l’ancien supercontinent Gondwana, qui correspond aujourd’hui à l’Amérique du Sud et à l’Afrique. Cela colle parfaitement avec la nature robuste des lichens, capables de survivre dans des conditions extrêmes.
Ce qui est aussi troublant, c’est que son anatomie ne correspond pas tout à fait aux grands groupes de champignons que nous connaissons. Peut-être s’agit-il d’une branche ancienne, une sorte de cousin éloigné des lichens actuels qui n’a pas laissé de descendants directs. Une énigme de plus dans l’histoire de la vie.
Conclusion : L'héritage discret des bâtisseurs silencieux
Aujourd’hui encore, les lichens continuent de faire le même travail que leurs ancêtres du Dévonien. Ils colonisent la roche nue, libèrent des acides qui aident à former le sol et ancrent des écosystèmes microscopiques là où presque rien d’autre ne peut survivre. Sur les montagnes, dans les déserts ou les plaines polaires, ils sont toujours les bâtisseurs silencieux de notre monde.
En capturant et en stockant le carbone, ils jouent même un rôle de régulateur climatique, un lien subtil entre les débuts de la vie et l’équilibre actuel de notre planète. Cette découverte ne fait que rendre justice à ces organismes. Avant que les racines ne s’enfoncent profondément dans la terre, les lichens faisaient déjà le travail patient et essentiel qui a rendu notre planète habitable.
Selon la source : earth.com