La gymnastique des mots: une activité scolaire simple pourrait freiner le vieillissement de notre cerveau
Auteur: Adam David
L’urgence face au vieillissement mondial

Face au défi démographique global, la recherche de stratégies efficaces pour maintenir une bonne santé cognitive est devenue une priorité absolue. Alors que le nombre de cas de maladies neurodégénératives, comme Alzheimer, ne cesse d’augmenter, des solutions préventives simples et accessibles sont activement étudiées.
Une nouvelle étude de grande ampleur vient pointer du doigt un atout insoupçonné, souvent acquis sur les bancs de l’école : la pratique du multilinguisme. Il semblerait que plus nous jonglons entre les langues, plus nous offrons une protection durable à notre matière grise.
Le poids de la démographie et des maladies cérébrales
L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) ne cesse de le rappeler : la population mondiale vieillit à un rythme accéléré. D’ici 2030, une personne sur six franchira le cap des 60 ans. Cette transition, si elle est synonyme de progrès en matière de longévité, s’accompagne logiquement d’une hausse des affections liées à l’âge, notamment celles qui touchent le cerveau.
Nous savons depuis longtemps que certaines habitudes quotidiennes, allant de l’activité physique à une alimentation riche en oméga-3, sont cruciales pour chouchouter notre santé cérébrale. Or, l’équipe de l’université Nebrija en Espagne s’est concentrée sur une stimulation cognitive bien spécifique : l’apprentissage des langues vivantes.
Une protection cognitive « mesurable » à chaque nouvelle langue
Pour mener à bien leurs travaux, publiés dans la prestigieuse revue *Nature Aging*, les chercheurs ont analysé les données de pas moins de 86 149 participants. Ces volontaires, répartis dans 27 pays européens, faisaient partie de cohortes étudiées pour comprendre le vieillissement de la population.
L’équipe a croisé des informations détaillées sur les facteurs de protection (niveau d’éducation, capacités fonctionnelles) et les facteurs de risque (affections cardiométaboliques, déficiences sensorielles) avec le niveau de langue et le nombre de langues parlées par chaque individu.
Un « signal fort » d’activité mentale quotidienne

Les conclusions sont apparues très nettes : les participants multilingues présentaient un risque réduit de vieillissement cognitif accéléré. Mieux encore, l’effet protecteur n’était pas binaire, mais cumulatif. «Chaque langue supplémentaire a apporté une protection mesurable», a précisé Agustin Ibanez, co-auteur de l’étude et neuroscientifique au Trinity College de Dublin, auprès d’Euronews Health.
Selon lui, ce constat est un «signal fort» que l’activité mentale quotidienne, comme le simple fait d’utiliser plusieurs langues dans sa routine, a un impact direct sur le rythme biologique du vieillissement cérébral.
La complexité de la gymnastique intellectuelle

Mais comment la maîtrise de plusieurs idiomes peut-elle se traduire en une telle résilience neuronale ? Le mécanisme est double, selon les chercheurs. D’abord, le multilinguisme exige un effort constant de concentration et d’inhibition. Le cerveau doit sans cesse jongler entre des règles grammaticales distinctes et inhiber la langue non pertinente.
Cette «gymnastique intellectuelle» maintient les circuits neuronaux actifs. En parallèle, comme l’ajoute Agustin Ibanez, le multilinguisme tend à renforcer les liens sociaux, favorise le sentiment d’appartenance culturelle et peut même améliorer la régulation émotionnelle – des facteurs reconnus pour réduire le stress chronique.
Attention : une corrélation, pas une cause directe

Il est toutefois essentiel de modérer l’interprétation de ces résultats. Jon Andoni Duñabeitia, chercheur en sciences cognitives du langage à l’université Nebrija, a tenu à souligner que l’étude démontre une forte corrélation, mais non un lien de cause à effet direct. En d’autres termes, «ces résultats ne permettent pas de conclure que parler plusieurs langues retarde directement le vieillissement, mais ils suggèrent que les personnes multilingues semblent mieux vieillir».
Néanmoins, cette distinction scientifique n’enlève rien à la pertinence des conclusions. Les auteurs de l’étude estiment que leurs travaux devraient servir de base pour «éclairer les politiques éducatives et de santé publique» afin d’intégrer davantage la promotion de la résilience cognitive dès le plus jeune âge.
investir dans le langage, c’est investir dans l’avenir

Alors que la démence est en passe de devenir l’un des plus grands défis sanitaires du XXIe siècle, la preuve s’accumule : le cerveau est un muscle qui demande à être entraîné. Que ce soit en maintenant une vie sociale riche ou en pratiquant la méditation, toutes les formes de stimulation cognitive sont bénéfiques.
Mais l’apprentissage d’une nouvelle langue, même tardivement, apparaît comme une stratégie particulièrement puissante. Elle offre à la fois un défi intellectuel constant et une porte vers l’enrichissement social, deux piliers cruciaux pour mieux négocier les années qui viennent.
- Multilingualism protects against accelerated aging in cross-sectional and longitudinal analyses of 27 European countries – Nature Aging – 10/11/2025
- Sacrebleu! Speaking more than one language may help slow down ageing, study finds – Euronews Health – 11/11/2025
- Multilingualism protects against accelerated aging, according to a mega-study in 27 European countries – Science Media Centre Spain – 11/11/2025
- Démence – Organisation mondiale de la Santé (OMS)