Quand le style devient une question simiesque

Longtemps, on a pensé que la parole ou l’intelligence sophistiquée formaient la ligne de démarcation définitive entre l’humain et nos cousins simiesques. Pourtant, la question de la mode et de la décoration corporelle semble poser un nouveau défi à cette distinction. Une étude récente, menée au Chimfunshi Wildlife Orphanage en Zambie, révèle l’émergence d’un comportement à la fois déroutant et fascinant : les chimpanzés s’ornent de brins d’herbe, adoptant ainsi une véritable tradition sociale.
Ce phénomène, d’abord observé il y a plus d’une décennie, est revenu en force, mais avec un « twist » qui captive aujourd’hui l’attention des comportementalistes : l’herbe ne se cantonne plus aux oreilles.
Un accessoire intemporel revisité

L’histoire de cette parure végétale remonte au début des années 2010. À l’époque, les chercheurs avaient déjà documenté comment certains chimpanzés s’amusaient à laisser dépasser fièrement un brin d’herbe de leur oreille. Ce n’était pas un accident, mais bien une habitude répétée, signalant l’apparition d’une mode locale.
Si l’herbe à l’oreille semble être devenue un classique intemporel du style simiesque, un groupe plus récent, étudié entre 2023 et 2024, a innové. Ce petit brin de verdure, loin des défilés de haute couture, n’a pas seulement été inséré dans le conduit auditif, mais aussi… dans la région anale. Une variation inattendue qui a immédiatement intrigué la communauté scientifique.
La piste du hasard et de la transmission éliminée

Face à cette réapparition surprenante d’une mode étrange, les chercheurs en éthologie ont d’abord cherché l’explication la plus simple : la transmission. Pourtant, cette hypothèse a été rapidement écartée. Les chimpanzés impliqués dans l’étude de 2014 et ceux observés plus récemment n’entretiennent pas le moindre contact. Il s’agit de groupes séparés géographiquement au sein du sanctuaire.
D’autre part, il semblait peu probable qu’une telle coïncidence survienne, où deux groupes sans lien inventeraient indépendamment une mode aussi spécifique. Il fallait donc trouver un facteur commun, une source d’inspiration externe qui aurait pu initier ce geste.
L’influence discrète des soigneurs humains

C’est là qu’intervient l’hypothèse des soigneurs. Dans un sanctuaire, les animaux sont en contact régulier avec des humains, et parfois, un même soigneur peut s’occuper de plusieurs groupes. Edwin van Leeuwen, auteur principal des études et chercheur à l’Université d’Utrecht, a évoqué une piste humaine tout à fait inattendue pour l’origine du phénomène.
Dans une déclaration, il explique que les soigneurs du premier groupe avaient l’habitude d’utiliser des petits objets – comme des brins d’herbe ou des allumettes – pour se nettoyer eux-mêmes les oreilles. Le geste d’insérer l’herbe dans l’oreille des chimpanzés pourrait être une imitation directe de ce comportement humain. Quant à l’innovation de l’herbe dans les fesses, il s’agirait d’un dérivé inventé et popularisé par les chimpanzés eux-mêmes, appliquant l’idée à un autre orifice corporel.
Le temps libre, moteur de la tradition

Selon les observations, cette nouvelle tendance s’est répandue à la vitesse de l’éclair : un mâle dominant aurait réussi à la populariser en moins d’une semaine. Un coup de communication que bien des marques pourraient envier.
Cependant, les chercheurs tempèrent : il est peu probable que l’on observe un tel comportement en pleine nature. En captivité, les chimpanzés, exemptés de la quête permanente de nourriture et de l’évitement des prédateurs, bénéficient d’un temps libre considérable. « Ils ont beaucoup plus de temps libre que dans la nature », a souligné Edwin van Leeuwen. Ce loisir permet justement l’émergence et le maintien de traditions qui n’ont pas de fonction de survie immédiate.
Un ciment social inattendu

Au-delà de l’anecdote amusante, cette « mode » a une signification profonde en éthologie. Ce n’est pas un caprice, mais une véritable manifestation de cohésion sociale. En adoptant le même comportement que ses pairs, un individu montre qu’il les remarque, qu’il les apprécie et qu’il cherche à renforcer son appartenance au groupe.
Le chercheur de l’Université d’Utrecht conclut sur un parallèle éloquent : « Cela peut donc contribuer à renforcer les liens sociaux et à créer un sentiment d’appartenance au groupe, tout comme chez les humains. » Qu’il s’agisse d’une herbe dans l’oreille ou d’une montre dernier cri, l’adoption d’un signe distinctif commun reste l’un des mécanismes fondamentaux de la vie sociale, même chez les primates.