La loi duplomb, les néonicotinoïdes et le poisson zèbre: l’outil d’alerte précoce que l’on ne peut plus ignorer
Auteur: Adam David
La loi dite « Duplomb », visant à autoriser temporairement l’usage de certains pesticides controversés comme l’acétamipride, a provoqué un tollé avant d’être partiellement retoquée par le Conseil constitutionnel. Si la mobilisation citoyenne s’est largement concentrée sur le sort des pollinisateurs et la biodiversité, un danger potentiel persiste et reste mal quantifié : celui de l’impact de ces molécules neurotoxiques sur la santé des humains et des autres vertébrés. Pour les chercheurs cherchant à évaluer ces risques de manière plus éthique et efficace, un petit modèle aquatique se révèle aujourd’hui indispensable : le poisson zèbre.
Un arsenal chimique neurotoxique et omniprésent
Ces substances en cause – l’acétamipride, le sulfoxaflor et le flupyradifurone – sont des dérivés des néonicotinoïdes ou possèdent un mode d’action similaire. Elles sont conçues pour être solubles, facilement absorbées par les plantes, et surtout, puissamment neurotoxiques pour les arthropodes. Elles agissent en ciblant des récepteurs clés du système nerveux des insectes, provoquant leur paralysie, puis leur mort. L’acétamipride, un composé organochloré, inquiète particulièrement par sa capacité à s’accumuler dans le pollen, perturbant gravement le comportement, le métabolisme larvaire et même le microbiote intestinal des abeilles, y compris à des doses sublétales.
L'onde de choc dans les écosystèmes
Mais l’impact de ces pesticides ne s’arrête pas aux seuls insectes pollinisateurs. Les effets sublétaux se font sentir chez des organismes cruciaux pour l’agriculture, à l’image du parasitoïde *Trichogramma dendrolimi*, essentiel à la lutte biologique. De plus, l’acétamipride est connu pour perturber la structure trophique des sols, affectant par exemple le comportement reproducteur des vers de terre.
Sa solubilité extrême lui permet inévitablement de se retrouver dans les cours d’eau. Bien qu’il ne soit pas toujours considéré comme très toxique pour les organismes aquatiques, des lésions tissulaires ont été observées chez des moules d’eau douce. Par ailleurs, des études sur des rongeurs de laboratoire ont montré que l’exposition à cette substance induisait un stress oxydatif, potentiellement responsable de dommages à l’ADN et de toxicité reproductive.
Le poisson zèbre, modèle privilégié et éthique
Le manque de données sur la toxicité de ces molécules pour les vertébrés a propulsé le poisson zèbre (*Danio rerio*) au premier plan de l’écotoxicologie réglementaire. Ce petit téléostéen originaire d’Asie du Sud possède des caractéristiques idéales : un développement externe et rapide ainsi que des embryons transparents, facilitant l’observation directe de toute altération morphologique ou comportementale induite par les contaminants.
Sur le plan physiologique, ce modèle vertébré partage des similarités clés avec l’humain. Il possède une barrière hématoencéphalique protégeant son système nerveux et est doté d’un système enzymatique hépatique capable de métaboliser les substances étrangères. C’est pourquoi le poisson zèbre est désormais intégré dans plusieurs lignes directrices de l’OCDE, et son test de toxicité embryonnaire (FET) est reconnu par des organismes comme l’Anses et l’EFSA.
L'avantage éthique et réglementaire
L’utilisation de l’embryon de poisson zèbre offre un avantage éthique majeur. Conformément à la Directive européenne 2010/63/UE, les embryons de moins de cinq jours ne sont pas considérés comme des animaux protégés, offrant ainsi une alternative plus acceptable aux tests sur animaux adultes. Ce test est utilisé dans le cadre de réglementations internationales cruciales, comme le règlement REACH de l’Union européenne.
L’analyse conjointe des altérations observées chez les embryons et les larves de *Danio rerio* représente donc une approche scientifiquement robuste pour évaluer le danger des contaminants environnementaux, notamment ceux qui présentent un fort potentiel neurotoxique ou développemental, tels que les pesticides issus des néonicotinoïdes, des sulfoximines ou des buténolides.
Des signaux d'alerte troublants pour les vertébrés
Les résultats obtenus chez le poisson zèbre ne sont pas faits pour rassurer. Même à de faibles concentrations (comparables à celles retrouvées dans l’environnement), l’acétamipride induit des troubles locomoteurs. À des doses sublétales plus élevées, on observe une réduction du rythme cardiaque et diverses anomalies morphologiques.
Ce qui est encore plus alarmant, ce sont les effets synergiques. L’acétamipride combiné à des polluants métalliques agricoles, comme le cadmium, voit sa toxicité aggravée, entraînant des malformations aiguës et des perturbations endocriniennes. De plus, une exposition prolongée des poissons juvéniles révèle une bioaccumulation du pesticide, une féminisation des adultes, et surtout, des effets transgénérationnels sur la descendance, incluant une baisse de la fécondité et des malformations embryonnaires.
Quant aux successeurs comme le sulfoxaflor et le flupyradifurone (pourtant présenté comme « faiblement toxique »), ils provoquent également retards de croissance, anomalies cardiaques et caudales chez les larves. Ces résultats indiquent un potentiel toxique systémique non négligeable, similaire à celui des néonicotinoïdes classiques.
réévaluer le risque face à la bioaccumulation
Ces données sont claires : l’acétamipride, le sulfoxaflor et le flupyradifurone interfèrent avec des processus biologiques fondamentaux du développement neurologique et endocrinien chez un modèle vertébré. Étant donné la forte conservation évolutive de ces voies entre les poissons et les mammifères, y compris l’humain, il existe un risque potentiel avéré en cas d’exposition chronique ou prénatale.
La présence persistante de ces composés dans nos milieux (eaux de surface, sols, chaînes alimentaires) impose une réévaluation toxicologique urgente et rigoureuse. Cette réévaluation devra impérativement prendre en compte les effets cumulés, les fenêtres de vulnérabilité spécifiques et les expositions multiples. Le poisson zèbre, dans ce contexte, n’est pas qu’un outil de laboratoire, mais un véritable baromètre d’alerte précoce que la réglementation ne peut plus se permettre d’ignorer.
Selon la source : science-et-vie.com