Les plantes exotiques ne sont plus à l’abri de leurs ennemis naturels : ce que nous apprend la science
Auteur: Mathieu Gagnon
Il semblerait que de nombreux « petits nouveaux » bien installés ne sont plus du tout invisibles. En fait, certains ont réussi à attirer des communautés d’herbivores qui ressemblent, de manière étonnante, à celles que l’on trouve sur nos plantes locales, celles qui sont là depuis toujours. C’est un changement de perspective assez important, vous ne trouvez pas ?
L'hypothèse de l'ennemi en fuite (et pourquoi on y croyait tant)
Dans les manuels, on lisait souvent que ces plantes restaient peu consommées parce que les herbivores locaux n’avaient jamais eu le temps d’évoluer pour développer les adaptations nécessaires. Ingmar Staude, un écologiste de l’Université de Leipzig, a dirigé ce travail. Il étudie comment nos communautés végétales réagissent aux changements globaux. Ses nouvelles découvertes nous révèlent que cette histoire est en réalité incomplète. Pourquoi ? Parce que les réseaux écologiques changent avec le temps. Quand on donne assez de temps et d’espace à ces plantes, les ennemis naturels finissent par les rattraper. C’est une question de persévérance, je suppose.
Les petits mangeurs et le grand suivi en europe
Pour comprendre ces interactions, les chercheurs ont utilisé une base de données absolument colossale à l’échelle du continent, regroupant donc plus de 127 000 liens documentés entre les plantes européennes et leurs microherbivores. Non, franchement, c’est gigantesque. Ils ont combiné ces données avec des informations cruciales : où pousse chaque plante, quand elle est arrivée en Europe pour la première fois, et si elle est ligneuse (comme un arbre) ou herbacée. L’idée était de savoir à quel point chaque plante est « tissée » dans le réseau trophique, la fameuse toile de qui mange qui dans l’écosystème.
Le secret des arrivées de longue date
Mais, et c’est là que ça devient intéressant, cette différence tend à s’estomper, voire à disparaître, pour les plantes qui sont installées en Europe depuis plusieurs siècles et qui se sont propagées sur de vastes étendues. Pensez-y : certaines de ces espèces sont arrivées il y a 200 ans ou plus ! Aujourd’hui, elles s’étendent sur des zones équivalentes à 400 000 miles carrés (c’est à peu près un million de kilomètres carrés), et elles accueillent un nombre de microherbivores similaires à celui des plantes natives. C’est la preuve que l’adaptation n’est qu’une question de temps.
Qui mange qui ? Les généralistes prennent le relais
Toutefois, même lorsque les plantes non-natives atteignent les niveaux de richesse d’ennemis des plantes natives, il y a une nuance de taille : leurs ennemis sont souvent des espèces généralistes. Ce sont des consommateurs qui peuvent se satisfaire de plusieurs types de plantes hôtes. Nos plantes natives, elles, continuent d’héberger des mangeurs hautement spécialisés, ceux qui ne peuvent utiliser qu’un petit nombre d’hôtes précis. Ce rôle unique des spécialistes n’est jamais remplacé par les espèces nouvellement établies, du moins pour l’instant.
Un changement de pression au fil du temps
Des recherches antérieures sur les agents pathogènes végétaux avaient montré qu’en effet, les espèces introduites souffraient moins de maladies fongiques ou virales que dans leur région d’origine. Ce schéma soutenait l’idée que moins de maladies = plus de succès en tant qu’envahisseur. Mais la recherche récente tend à montrer que cette « libération des ennemis » n’est souvent que temporaire. Les équilibres se déplacent. Dans ce nouveau travail, on voit bien que les anciennes non-natives font face à une flopée de généralistes, tandis que les espèces spécialisées restent concentrées sur nos plantes natives. Finalement, cela ressemble beaucoup aux études sur la pollinisation, qui montrent que les espèces envahissantes reçoivent souvent beaucoup de visites et ne réduisent pas nécessairement la pollinisation des espèces locales. Le message est clair : nos réseaux écologiques sont flexibles et peuvent absorber de nouveaux joueurs, tout en gardant des rôles uniques pour nos espèces indigènes établies de longue date.
Gérer l'arrivée avec nuance
Certaines plantes naturalisées depuis longtemps soutiennent désormais de riches communautés d’ennemis et participent au tissage des chaînes alimentaires locales. Attention, cela ne veut pas dire que toutes les plantes non-natives sont inoffensives – loin de là ! Mais cela démontre l’importance de regarder très attentivement leur rôle actuel dans l’écosystème. Comme l’a dit Ingmar Staude, ce savoir permet « d’évaluer les risques posés par les espèces non-natives d’une manière plus nuancée », contribuant ainsi à adapter les stratégies de conservation face à une composition des espèces en perpétuel changement.
Selon la source : earth.com