La guerre a payé: l’incroyable baby-boom d’un clan de chimpanzés vainqueur en Ouganda
Auteur: Adam David
Une décennie de conflit aux conséquences inattendues

Pendant près de dix ans, une guerre d’usure a fait rage dans le parc national de Kibale, en Ouganda, opposant férocement plusieurs communautés de chimpanzés. L’issue de ce conflit, qui a coûté la vie à des dizaines d’individus, révèle aujourd’hui une conséquence biologique spectaculaire. Le clan victorieux, baptisé Ngogo, a connu une expansion territoriale immédiate, suivie d’un véritable « baby-boom » chez ses femelles, documentant pour la première fois un lien direct entre violence létale, acquisition de territoire et succès reproductif.
Quand la violence des chimpanzés bousculait la science

L’idée que nos proches cousins anthropoïdes puissent mener des « guerres » est loin d’être nouvelle, mais elle fut longtemps un sujet de discorde scientifique. Dès 1974, la primatologue Jane Goodall rapportait les détails glaçants d’un conflit de quatre ans à Gombe, en Tanzanie, provoquant l’effroi général et, chez certains collègues, des accusations d’anthropomorphisme. On tenait alors les grands singes pour des êtres intrinsèquement pacifiques.
Goodall elle-même avait admis avoir été choquée par la cruauté observée : infanticides cannibales et dépeçages, menant à l’annihilation complète des mâles du groupe perdant. Si d’autres affrontements ont été documentés depuis, les motivations profondes de ces conflits restent souvent mal comprises, notamment les liens avec le gain territorial permanent.
Les gains amers du clan Ngogo

C’est précisément cette relation entre l’agression coordonnée et les bénéfices écologiques que des chercheurs de l’Université de Californie à Los Angeles (UCLA) et du Michigan ont cherché à décortiquer en Ouganda. Ils se sont concentrés sur la communauté Ngogo, qui s’est distinguée par sa brutalité et son organisation pendant sa décennie de guerre, entre 1998 et 2008, tuant au moins 21 rivaux dans des raids létaux.
Cet affaiblissement dramatique des voisins, surtout dans le nord-est, a permis aux Ngogo de s’emparer progressivement des terres vacantes. En 2009, l’étendue de leur territoire avait grimpé de 22 %, atteignant un total de 6,4 kilomètres carrés. Mais l’expansion géographique n’est qu’une partie de l’histoire.
Un taux de fécondité doublé

L’équipe a ensuite comparé les statistiques démographiques avant et après la conquête territoriale. Les résultats, publiés dans la revue PNAS, sont confondants. Sur les trois années précédant l’expansion, 15 naissances avaient été enregistrées. Sur les trois années qui ont immédiatement suivi, ce chiffre a bondi à 37, un taux de fécondité plus que doublé. Ce n’était pas un simple pic : le taux de survie des jeunes a suivi la même courbe ascendante.
Le risque de décès avant l’âge de trois ans a en effet chuté de 41 % à un maigre 8 % après l’acquisition des nouvelles terres. « À l’époque, il était évident pour les chercheurs sur le terrain que les chimpanzés connaissaient un baby-boom. Nous nous attendions à le constater dans les données, mais pas à une telle augmentation du taux de survie », a confié Brian Wood, anthropologue à l’UCLA et auteur principal de l’étude.
Moins de rivaux, plus de nourriture

Comment expliquer un tel revirement démographique ? L’augmentation soudaine de la natalité et de la survie s’expliquerait principalement par un meilleur accès aux ressources alimentaires. Un territoire plus vaste signifie une meilleure santé et une énergie accrue pour les femelles, d’où une fertilité plus élevée. Le gain ne s’arrête pas là.
La sécurité joue aussi un rôle crucial. L’élimination physique des mâles des clans adverses assure une protection vitale aux nourrissons. Michael Wilson, spécialiste des chimpanzés à l’Université du Minnesota, souligne qu’une cause majeure de mortalité chez les bébés chimpanzés est justement la prédation par des congénères. En écartant la menace des voisins, le clan Ngogo a réduit drastiquement le taux d’infanticide.
Le prix de la violence et l’écho humain
Ces découvertes fournissent la première preuve solide reliant l’agression coalisée à l’amélioration du succès reproductif chez les chimpanzés. Elles aident, selon les chercheurs, à éclairer pourquoi ce comportement violent a pu évoluer, y compris chez nos propres ancêtres, notamment en période de pénurie alimentaire, où le gain territorial se traduit par de réels avantages évolutifs.
Il convient toutefois de nuancer l’avantage global. Cette « compétition à somme nulle » a décimé les groupes voisins, et malgré la prospérité des Ngogo, il est peu probable que l’on observe une augmentation globale de la population de chimpanzés dans la région de Kibale. Comme le rappelle Brian Wood, si les humains partagent cette capacité à la violence coordonnée, nous avons heureusement développé des mécanismes sociétaux pour éviter, la plupart du temps, ces cycles destructeurs de pénurie et de violence territoriale.
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