Ces crustacés géants qu’on croyait rares grouillent en fait au fond de nos océans
Auteur: Mathieu Gagnon
Une rareté… qui n’en est peut-être pas une

C’est assez classique en science : on colle l’étiquette « rare » sur une créature simplement parce qu’on a un mal fou à la débusquer. C’est un peu l’histoire de l’amphipode supergéant, l’Alicella gigantea. Imaginez une sorte de crevette blanche, mais une version colossale qui peut atteindre environ 13,4 pouces de longueur (ça commence à faire un sacré morceau). Pendant des années, on a eu droit à des observations éparses, presque anecdotiques, ce qui laissait penser que la bestiole était une exception dans les abysses.
Mais voilà que tout bascule. Enfin, pas tout, mais notre compréhension de l’espèce, oui. Selon de nouvelles découvertes présentées par le Dr Paige J. Maroni de l’Université d’Australie-Occidentale, ce crustacé costaud semble s’être caché juste sous notre nez… ou plutôt, très loin sous nos pieds. Il s’avère que l’espèce apparaît bien plus souvent qu’on ne le soupçonnait. Comme l’explique le Dr Maroni, cet animal a été historiquement échantillonné ou observé très rarement par rapport à d’autres amphipodes des grands fonds, ce qui suggérait de faibles densités de population. C’est logique, non ? Si on ne le voit pas, on se dit qu’il n’y en a pas. Et comme on ne le trouvait pas souvent, on ne savait quasiment rien sur sa démographie ou sa variation génétique. Rendez-vous compte : il n’y avait que sept études publiées contenant des données sur sa séquence ADN. C’est maigre.
Une présence mondiale insoupçonnée

On sait depuis des décennies que les amphipodes traînent un peu partout, des lacs aux récifs coralliens, et même dans les fosses océaniques. Beaucoup occupent des profondeurs extrêmes, avec les zones hadales qui s’étendent bien au-delà de 19 700 pieds, là où la pression de l’eau vous écraserait en une fraction de seconde. C’est un groupe diversifié qui partage des traits avec les crevettes, mais certains s’adaptent de manière totalement inattendue. Quelques-uns s’épanouissent dans le froid glacial et l’obscurité totale. L’Alicella gigantea, elle, semblait insaisissable. Les premières preuves par caméra sont apparues dans le Pacifique Nord à environ 17 400 pieds. Pendant plus de 20 ans, l’espèce est restée fantomatique. On ne trouvait qu’une poignée d’échantillons physiques, donnant l’impression que ces charognards géants vivaient dans des poches isolées.
Et puis, les expéditions de terrain ont continué. Les scientifiques, têtus comme ils sont, ont compilé pas moins de 195 enregistrements provenant de multiples expéditions à travers le monde pour reconstituer une vue d’ensemble. Et là, surprise. Les données génétiques de deux gènes mitochondriaux et d’un gène nucléaire ont montré des différences minimes entre les populations. Ça veut dire quoi ? Eh bien, ça renforce l’idée que cet amphipode se déplace probablement dans les profondeurs avec très peu de barrières. Il semble que cette espèce soit présente dans un vaste réseau de fosses et de plaines, couvrant carrément les océans Pacifique, Atlantique et Indien. Comme le dit si bien le Dr Maroni : « À mesure que l’exploration des grands fonds augmente à des profondeurs dépassant la plupart des échantillonnages conventionnels, il y a un corpus de preuves sans cesse croissant pour montrer que le plus grand crustacé des grands fonds du monde est loin d’être rare. » Une seule espèce mondiale, en somme.
Survivre dans l’enfer des profondeurs

C’est quand même fascinant de voir comment la vie s’accroche. Malgré les distances énormes, l’Alicella gigantea montre très peu de changement génétique. Certains spécialistes marins proposent que les températures plus basses et les conditions stables des grands fonds ralentissent la divergence évolutive. D’autres suggèrent que les courants océaniques changeants et la tectonique sur des millions d’années ont ouvert des voies pour que ces animaux se dispersent. Quoi qu’il en soit, les preuves soutiennent un type largement distribué plutôt que plein de variantes proches. Vivre là-bas, c’est du sport. Les zones hadales peuvent atteindre plus de 29 300 pieds de profondeur. Le fait que l’Alicella gigantea habite une telle gamme de profondeurs est une preuve de sa résilience incroyable.
Mais qu’est-ce qu’ils mangent ? Des études du contenu stomacal de nombreux grands amphipodes révèlent qu’ils se nourrissent de charognes ou de matière organique qui coule depuis la surface. C’est pas très ragoûtant, je vous l’accorde, mais ce mode de vie leur donne la flexibilité de survivre dans des régions reculées où les repas réguliers ne sont pas garantis. On a même observé des agrégations de ces crustacés géants autour de pièges à appâts à environ 22 000 pieds (6 700 mètres) de profondeur dans la zone de fracture Murray, dans le Pacifique Nord. Ils sont là, tapis dans l’ombre, attendant que quelque chose tombe.
Pourquoi s’intéresser à ces créatures ?

On a tendance, nous les humains, à focaliser nos efforts de conservation sur les animaux qu’on connaît bien, les mignons ou les impressionnants. Mais les habitants peu étudiés des fosses abyssales sont tout aussi cruciaux. En comprenant comment des créatures comme l’Alicella gigantea se propagent et maintiennent leurs populations, les scientifiques espèrent saisir comment les écosystèmes des grands fonds réagissent aux changements environnementaux. Évaluer les modèles de distribution dans ces zones sous-explorées aide à diriger les recherches futures. Et puis, soyons honnêtes, ça encourage aussi des conversations plus profondes sur la façon dont nos activités en surface pourraient affecter des habitats situés à des milliers de pieds plus bas. Avec l’intérêt croissant pour l’exploitation minière sous-marine et d’autres aventures commerciales, il devient critique de comprendre comment ces régions fonctionnent.
Les experts pensent qu’on n’a fait qu’effleurer la surface de la biodiversité des grands fonds. Le plan génétique d’espèces comme A. gigantea pourrait détenir des indices sur la façon dont la vie a persisté à travers les changements climatiques passés de la Terre. Les améliorations technologiques des submersibles et des équipements d’échantillonnage permettent maintenant d’enquêter sur des sites éloignés avec une plus grande fréquence. Le Dr Maroni conclut en disant que les avancées dans les technologies de séquençage de nouvelle génération permettront à la recherche sur l’évolution des amphipodes hadaux de croître rapidement. Il y a encore beaucoup à découvrir, c’est certain, mais ce supergéant amphipode nous montre que parfois, les géants cachés de l’océan n’attendent que d’être trouvés, bien plus près — ou plutôt, bien plus partout — qu’on ne le pensait. L’étude est publiée dans la Royal Society Open Science, pour les curieux.
Ce contenu a été créé avec l’aide de l’IA.