Un réservoir d’eau cosmique qui dépasse l’entendement : 140 billions d’océans terrestres repérés autour d’un trou noir
Auteur: Mathieu Gagnon
Une découverte qui donne le vertige

Parfois, l’univers aime bien nous lancer une balle courbe, juste pour voir si on suit. Et là, franchement, les astronomes ont été servis. Imaginez un peu : deux équipes de chercheurs ont déniché ce qui est, sans conteste, le réservoir d’eau le plus grand et le plus lointain jamais observé dans le cosmos. On ne parle pas d’une petite flaque, non… On parle d’une quantité d’eau équivalente à 140 billions de fois la totalité de l’eau présente dans tous les océans de la Terre. C’est un chiffre tellement énorme qu’il en devient presque abstrait, vous ne trouvez pas ?
Cette masse d’eau titanesque enveloppe un quasar – c’est-à-dire une galaxie active dont le trou noir supermassif central se goinfre de gaz et recrache des quantités phénoménales de lumière – répondant au doux nom de APM 08279+5255. Ce qui est fou, c’est la distance : ce monstre se trouve à plus de 12 milliards d’années-lumière de nous. En observant cet objet, on regarde littéralement dans le rétroviseur temporel. Son « redshift » (ou décalage vers le rouge) mesuré est de z ≈ 3,87. Cela signifie que nous voyons ce système tel qu’il était il y a plus de dix milliards d’années, une époque où les galaxies et les trous noirs étaient encore en pleine crise d’adolescence, si je puis dire.
Pour un objet aussi éloigné, il brille de manière suspecte, aussi bien en lumière visible que dans l’infrarouge lointain. C’est cette luminosité anormale qui a mis la puce à l’oreille des scientifiques : il devait forcément y avoir plusieurs processus physiques à l’œuvre pour booster ainsi la lumière qui arrive jusqu’à nos instruments.
Deux équipes, une signature spectrale unique

Matt Bradford, scientifique au Jet Propulsion Laboratory (JPL) de la NASA à Pasadena en Californie, ne cache pas son enthousiasme. Selon lui, l’environnement autour de ce quasar est unique car il produit cette énorme masse d’eau. C’est, je cite, « une autre démonstration que l’eau est omniprésente dans l’univers, même aux époques les plus reculées ». Bradford dirige l’une des équipes à l’origine de cette trouvaille, mais il n’était pas seul sur le coup. C’est ça qui est beau dans la science moderne.
Une seconde équipe, menée par Dariusz Lis – associé de recherche principal en physique à Caltech et directeur adjoint de l’Observatoire Submillimétrique de Caltech – a utilisé l’Interféromètre du Plateau de Bure, niché dans nos bonnes vieilles Alpes françaises, pour repérer l’eau. Ils ont détecté l’eau dans APM 08279+5255 un peu par hasard, via une signature spectrale unique. L’équipe de Bradford, elle, a capté par la suite plusieurs raies d’eau, ce qui a permis de révéler beaucoup plus de détails, notamment la masse colossale de ce nuage.
Ce fameux décalage vers le rouge, ou redshift, est notre outil pour lire l’expansion de l’univers. L’espace s’étire, et la lumière qui le traverse aussi, virant vers le rouge. Un redshift proche de 3,9 place ce quasar dans l’univers primordial, avec un temps de regard en arrière de plus de dix milliards d’années. À cette époque, la plupart des galaxies étaient petites, poussiéreuses et faiblardes. Mais APM 08279+5255 brise complètement ce schéma. Sa brillance à travers le spectre nous hurle qu’un coup de pouce extérieur amplifie sa lumière avant qu’elle ne nous atteigne.
Lentilles gravitationnelles et vents cosmiques

Alors, pourquoi ce quasar brille-t-il autant ? Il appartient à la classe BAL (Broad Absorption Line). En gros, son spectre montre de larges creux sculptés par des vents rapides. Le gaz s’échappe de la région centrale à des milliers de kilomètres par seconde. Ces vents nous offrent une vue directe sur ce qu’on appelle le « feedback » : la vapeur d’eau et d’autres matériaux tombant vers le trou noir peuvent aussi être éjectés, chauffant et poussant le gaz environnant. C’est cette activité qui façonne la formation des étoiles et l’évolution de la galaxie hôte.
Les premières estimations plaçaient la luminosité bolométrique – la puissance totale sur toutes les longueurs d’onde – dans la fourchette de plusieurs quadrillions de fois la luminosité du Soleil. Des chiffres pareils, ça demande une double vérification, non ? Est-ce vraiment si puissant, ou y a-t-il une astuce ? Quand c’est trop beau pour être vrai, on cherche souvent une lentille gravitationnelle. Si une galaxie se trouve pile entre nous et le quasar, elle courbe l’espace-temps et magnifie la source d’arrière-plan. Et bingo ! Les images d’APM 08279+5255 montrent une source légèrement allongée, comme si deux images proches se brouillaient.
Un modèle de lentille simple suggère que la lumière optique pourrait être magnifiée par un facteur d’environ 40. C’est énorme. Mais attention, même après avoir corrigé cet effet de loupe cosmique, le quasar brille toujours avec une puissance intrinsèque formidable – au moins de l’ordre de cent billions de Soleils. La lentille ne crée pas l’énergie, elle la redirige. Le trou noir et son carburant produisent déjà une puissance prodigieuse.
De plus, l’objet semble riche en poussière. La distribution d’énergie spectrale (SED) montre une forte sortie dans l’infrarouge lointain. Il semble aussi calme au niveau radio (« radio-quiet »), avec seulement une émission modeste, et les précédents relevés n’avaient pas détecté de rayons X forts, ce qui le classe fermement dans la famille BAL.
Conclusion : Un travail d’équipe pour une fenêtre sur le passé

Cette découverte nous force à replonger dans nos archives. Le catalogue IRAS Faint Source Catalog est immense, et si des objets comme APM 08279+5255 s’avèrent être des systèmes sous lentille gravitationnelle, alors ce catalogue pourrait cacher d’autres galaxies hyperlumineuses et riches en poussière, invisibles autrement. La lentille agit comme un télescope naturel, augmentant notre sensibilité. Les mesures de vapeur d’eau et d’autres molécules, comme le monoxyde de carbone, indiquent qu’il y a assez de gaz pour permettre au trou noir de grossir jusqu’à environ six fois sa taille actuelle. Bon, ce n’est pas garanti : le gaz pourrait aussi former de nouvelles étoiles ou être éjecté.
Enfin, la science est avant tout une aventure collective, et il serait injuste de ne pas mentionner les cerveaux derrière cette étude. Outre Matt Bradford, le papier « The water vapor spectrum of APM 08279+5255 » inclut des contributeurs comme Hien Nguyen, Jamie Bock, Jonas Zmuidzinas et Bret Naylor du JPL ; Alberto Bolatto de l’Université du Maryland ; Phillip Maloney, Jason Glenn et Julia Kamenetzky de l’Université du Colorado à Boulder ; James Aguirre, Roxana Lupu et Kimberly Scott de l’Université de Pennsylvanie ; Hideo Matsuhara de l’Institut des sciences spatiales et astronautiques au Japon ; et Eric Murphy de l’Institut Carnegie des sciences. Le financement de Z-Spec a été assuré par la National Science Foundation, la NASA, la Research Corporation et les institutions partenaires. Une belle brochette d’experts pour une découverte qui fera date.
Ce contenu a été créé avec l’aide de l’IA.