Le mystère de Harriet Cole : l’histoire troublante d’un corps disséqué il y a 130 ans
Auteur: Simon Kabbaj
Il existe dans une université de Pennsylvanie une pièce unique et dérangeante : le système nerveux complet d’un être humain, suspendu comme un artefact scientifique. Cet incroyable spécimen a été préparé il y a plus de 130 ans, et son histoire soulève de nombreuses questions sur la science, l’éthique et le respect des défunts. Mais qui était la personne derrière cette découverte médicale ? L’histoire de Harriet Cole, une femme afro-américaine dont le corps fut utilisé sans son consentement, mérite aujourd’hui d’être racontée.
1. Une prouesse scientifique impressionnante

En 1888, un médecin et anatomiste du nom de Rufus Weaver entreprend un travail d’une complexité extrême : extraire le système nerveux complet d’un cadavre humain, tout en le gardant intact. Ce travail lui prendra plus de 900 heures de travail, soit environ cinq mois, une patience et une minutie extraordinaires.
Ce type de dissection était une première dans l’histoire de la médecine. À l’époque, les connaissances sur le système nerveux étaient encore limitées, et une telle réalisation offrait aux médecins et étudiants une vision détaillée et inédite du fonctionnement du corps humain. Son travail fut considéré comme une avancée majeure pour la science, aidant des générations de médecins à mieux comprendre les connexions entre le cerveau, la moelle épinière et les nerfs du corps.
Mais derrière cette avancée scientifique, une question se pose : à qui appartenait ce corps et avait-il donné son accord ?
2. Qui était Harriet Cole ? Une femme réduite à un simple spécimen

Les archives indiquent que le système nerveux disséqué appartenait à Harriet Cole, une femme afro-américaine issue de la classe ouvrière. Elle était soignée à l’hôpital public de Philadelphie, un établissement destiné aux personnes pauvres.
Après sa mort, son corps fut envoyé directement à l’école de médecine de Hahnemann, où Weaver procéda à la dissection. Mais a-t-elle réellement consenti à ce que son corps soit utilisé pour la science ?
À cette époque, les lois sur le don de corps n’existaient pas encore. Beaucoup de cadavres de personnes pauvres, notamment des personnes noires, étaient envoyés en secret dans les laboratoires médicaux sans aucun consentement. Ces pratiques étaient monnaie courante, mais aujourd’hui, elles sont considérées comme une grave violation des droits humains et de la dignité des défunts.
3. Une identité effacée pendant des décennies

Une fois la dissection terminée, le système nerveux d’Harriet Cole fut exposé sous le nom de “Harriet”, mais aucune information sur sa vie ou son identité réelle n’était mentionnée.
Pendant des décennies, les visiteurs et étudiants venaient observer ce spécimen sans savoir qu’il appartenait à une vraie personne, avec une histoire et une vie. Il était devenu un simple objet scientifique, totalement déshumanisé.
Ce n’est que récemment que des chercheurs et historiens ont commencé à reconstituer son histoire. Grâce à des archives, ils ont découvert des documents attestant du passage d’Harriet Cole dans l’hôpital public avant sa mort, ainsi qu’un certificat de décès indiquant que son corps fut bien envoyé à l’école de médecine.
Malgré ces preuves, une incertitude demeure : s’agit-il réellement du système nerveux de Harriet Cole ? Les documents ne permettent pas d’en avoir une certitude absolue, et certains historiens s’interrogent toujours sur l’origine exacte de ce spécimen.
4. Le débat sur le consentement et l’éthique médicale

Aujourd’hui, il est impensable d’utiliser un corps sans l’accord du défunt ou de sa famille. Les lois sont strictes : chaque personne qui souhaite donner son corps à la science doit signer un document officiel attestant de son consentement.
Mais au XIXᵉ siècle, la situation était très différente. Les corps des personnes pauvres, des prisonniers et des personnes sans famille étaient souvent réquisitionnés en secret pour les études médicales.
Dans les années 1930, certains récits ont prétendu qu’Harriet Cole aurait volontairement fait don de son corps. Mais cette version est aujourd’hui contestée par des historiens qui estiment qu’il s’agit plutôt d’une invention pour masquer une réalité bien plus sombre : celle d’une femme dont le corps fut utilisé sans son accord, uniquement parce qu’elle était pauvre et afro-américaine.
Ce cas illustre une forme de “violence médicale racialisée”, comme l’expliquent les chercheurs Susan Lawrence et Susan Lederer en 2023. Ils rappellent que de nombreuses personnes de couleur ont été exploitées par la médecine sans qu’on leur accorde le moindre respect ou reconnaissance.
5. Redonner un nom à l’histoire

Aujourd’hui encore, le système nerveux d’Harriet Cole est conservé dans les archives médicales de l’Université Drexel en Pennsylvanie. Il est toujours utilisé comme outil d’étude et de recherche, mais il soulève un dilemme moral.
Faut-il continuer à l’exposer au nom de la science, ou bien lui offrir une sépulture digne, en reconnaissance du tort qui lui a été fait ?
Certains chercheurs estiment que ce spécimen est trop précieux pour être retiré, car il permet de mieux comprendre l’anatomie humaine. D’autres pensent au contraire que le garder exposé sans honorer la mémoire d’Harriet Cole est une forme d’injustice qui perdure.
Des discussions ont été engagées au sein de l’université pour réfléchir à la meilleure façon d’honorer sa mémoire tout en conservant cette pièce historique unique.
6. Une leçon pour l’avenir

L’histoire d’Harriet Cole nous rappelle à quel point l’éthique médicale a évolué. Aujourd’hui, il est essentiel que la médecine respecte non seulement la science, mais aussi la dignité humaine.
Grâce aux travaux d’historiens, son nom ne sera plus oublié, et son histoire pourra être racontée aux générations futures comme un témoignage des erreurs du passé.
Ce cas rappelle aussi l’importance du consentement et du respect des corps humains, même après la mort. En apprenant des erreurs du passé, nous pouvons garantir un avenir où la science et l’éthique avancent ensemble, sans jamais sacrifier la dignité des individus.
Conclusion : Un nom retrouvé, une injustice révélée

Pendant plus d’un siècle, Harriet Cole n’a été qu’un simple spécimen d’étude, son identité complètement effacée. Mais grâce aux efforts des historiens et des chercheurs, elle retrouve aujourd’hui son nom et son histoire.
Son cas montre les dérives d’une médecine qui, autrefois, ne respectait pas toujours la dignité des défunts. Aujourd’hui, il nous rappelle que la science doit toujours être guidée par l’éthique et le respect des personnes, même après leur mort.
Harriet Cole ne sera plus jamais oubliée.